
« … que là où je suis, eux aussi soient avec moi. » Jn 17, 24
Les paroles que nous venons d’entendre sont les dernières paroles de Jésus avant sa mort en croix. Ultimes paroles qui résument tout son enseignement, tel le point d’orgue de la grande symphonie musicale de son incarnation. Paroles testament d’un mourant, plus vivant que bien des morts vivants que nous sommes trop souvent. Ma vie, dit Jésus, « personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre… » [1] En ces paroles toutes contenues dans le chapitre dix-sept de saint Jean, traditionnellement appelé la prière sacerdotale, Jésus nous livre son âme, son cœur profond. Chacune de ces paroles est comme la facette unique d’un diamant multiforme. En chaque facette du diamant nous contemplons qui est Dieu pour nous en Jésus, qui nous sommes pour Dieu.
Qui sommes-nous donc pour Dieu ? Nous sommes nés de Dieu dans le sein de notre mère, car c’est Lui seul, Dieu, qui nous a donné notre âme, ce qui fait de nous un être unique.
« … jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » Lc 24, 49
Quarante jours se sont écoulés depuis la première apparition de Jésus ressuscité. Quarante jours où les apôtres ne cessèrent pas de faire des allers et retours dans leur tête comme sur le terrain. D’ici de là, entre tout ce dont ils avaient été témoins de la vie et de l’enseignement de Jésus et l’échec de la Passion, entre la contradiction des merveilles de son ministère et la terrible crucifixion, entre la tombe scellée et le tombeau vide, et désormais voici les apparitions en tout lieu hors de toutes les règles de vie de l’homme ordinaire. Jésus était bien le même mais tout autre. Il était bien le Jésus de Nazareth, fils de Joseph, avec lequel ils avaient mangé, bu, marché et peiné, sans oublier les fêtes et les repos. Ce même Jésus pouvait manger avec eux, mais n’en n’avait nul besoin. Il était toujours là mais pas toujours visible. Il était visible mais toujours d’une manière surprenante. Ses plaies demeuraient bien réelles mais laissaient désormais passer la lumière et non plus le sang versé jusqu’à la dernière goutte.
Quarante jours sont passés. Ce n’était pas de trop pour un peu réaliser l’inouï de Dieu, l’inconcevable, l’impensable dont les évangélistes ne craignent pas de nous dire qu’ils n’avaient pas compris.

« Si quelqu’un m’aime… » Jn 14, 23
Notre vie chrétienne, comme notre vie sociale, est pleine de coutumes, d’habitudes, de rites et de traditions. Sans cela nous ne pourrions pas vivre. Il suffit qu’une époque laisse tomber des coutumes pour qu’on en invente d’autres. Coutumes et habitudes deviennent traditions. En leur nom rien ne doit changer. Naturellement, puisqu’elles disent le sens de la vie de la communauté. Toucher aux traditions d’une religion c’est toucher à ce qui relient les personnes à leur dieu, à leur semblable et à leur monde de vie. Les petits enfants sont redoutables. Avec leur regard neuf ils ennuient les adultes pour leur demander sans cesse : mais pourquoi fait-on cela, ou comme cela ? Bien embarrassés ceux-ci répondent souvent : « on a toujours fait comme cela ». Oui, mais pourquoi ? Et surtout en vue de quoi ? L’enfant attend une réponse. Sans quoi il ira en chercher une ailleurs.
Nos premiers frères chrétiens venaient tous du judaïsme. La tradition rituelle de la circoncision était un marqueur identitaire. La vie vient de Dieu et appartient à Dieu. C’est Dieu qui donne la vie et nous soutient dans la vie pour nous conduire à la vie en plénitude. La marque charnelle de la circoncision dit la foi de l’israélite à l’intime de son corps, car en judaïsme on ne sépare jamais l’âme et le corps, l’éros de l’agapè.
Alors fallait-il imposer aux chrétiens venus du monde grec la fameuse circoncision. Le premier concile de Jérusalem va répondre non. Car une tradition n’est pas la Tradition. Une tradition si belle et bonne soit-elle, riche d’un sens plein de vitalité, ne doit pas se confondre avec la foi en sa grande Tradition avec un grand T. Tout le monde sait en Israël que le commandement suprême est d’aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même. Tout le monde sait en Israël que le chemin pour y parvenir est de lire abondamment la Torah, les Écritures divines transmises par les patriarches et les prophètes. Lire la Torah est un devoir sacré car elle seule structure le cœur et la pensée du croyant dans le souffle de Dieu offrant à tout un chacun de vivre et de donner la vie dans la vérité et la charité.

« Comme je vous ai aimés. » Jn 13, 34
Quel homme sur terre, ses dernières heures venues, se réjouit de son sort, remercie et rends grâce de ce qui lui arrive comme de ce qui va lui arriver ? À l’heure de son ennemi la mort, pleurs et lamentations, regrets et ténacité à vivre sur terre sont plutôt de mises pour le futur défunt. Le mourant a davantage la tête sur ce qui sera bientôt son passé » terrestre que sur son proche avenir céleste. Si d’aventure le mourant espère la mort, ce peut être aussi pour cesser de souffrir, mais est-ce pour entrer dans l’éternité ? Seule la foi lève le voile et ouvre un avenir.
Jésus est trahi. Judas, son apôtre choisi amoureusement dans la prière comme tous les autres apôtres, son commensal, son intime et son ami, sort de table précipitamment et décidé. L’apôtre félon a perçu l’importance de cette heure pour le Messie et de ce qui se joue en cette Pâque unique pour le salut du monde. Il veut en tirer gloire, pour lui et pour toute la compagnie apostolique, mais à sa guise, selon ses vues religieuses. Judas part vendre le maître pour un peu d’argent, croyant bien faire. Judas veut forcer le maître à se manifester ouvertement devant le sanhédrin et les dirigeants religieux.

« Car sa vie est retranchée de la terre… » Is 53, 8
Nous faisons mémoire en ce jour de nos ainés, morts pour la patrie, pour la justice et la liberté, ceux-là qui ont accepté volontairement que leur propre vie soit « retranchée de la terre. » L’Écriture nous parle d’un haut fonctionnaire de Candace, la reine d’Éthiopie, qui cherche quant à lui, de comprendre ce qui concerne ce mystérieux serviteur souffrant dont la vie fut retranchée de la terre, suivant les mots du prophète Isaïe.
De tout temps l’homme se fait la guerre. La guerre est depuis toujours le langage des hommes. Nos quatre-vingts ans de paix sur la presque totalité du territoire européen pourraient bien n’être qu’un leurre. Il y eut la guerre froide jusqu’en 1991 basée sur l’équilibre de la terreur. L’accumulation aujourd’hui d’un arsenal atomique capable de détruire plusieurs fois la planète n’a rien de rassurant. En 1917, face à l’écœurement de toutes les parties, suscité par l’affreuse boucherie des tranchées, la guerre a failli s’achever. Malheureusement le choix fut fait de la guerre à outrance jusqu’au boutisme. Par ondes successives, les séquelles profondes de ce traumatisme susciteront des réactions contradictoires au sein des peuples européens pour finir par une nouvelle déflagration encore plus meurtrière. Ce fut la guerre de 39-45.
« Avez-vous du poisson à manger ? » Jn 21, 5
Comme il en fallut du temps à l’apôtre Pierre pour enfin déclarer sa véritable et profonde amitié à Jésus. Son reniement pèse lourd à son cœur. Comme aux autres apôtres. Le Maître est enterré après une crucifixion horrible, signe de malédiction. Les disciples l’ont bien vu ressuscité à plusieurs reprises. Mais ils ne croient toujours pas au point de pouvoir reprendre la mission de l’Évangile. Tous ils sont revenus à leur métier de pécheur du lac de Tibériade. Certes ils ne sont plus les mêmes, travaillés au cœur par toutes les merveilles vues et entendues. Mais la terrible réalité s’impose à eux. La foi et l’amour de leur cœur pour Jésus ne brûle donc pas au point de dépasser la pratique commune et d’abandonner le minimum de sécurité qui s’impose pour vivre. Ils retournent à la pêche pour assurer leur subsistance, eux pourtant à qui jamais rien n’a manqué quand ils étaient avec Jésus. Mais voilà ! Jésus n’est plus là, du moins plus de la même manière. Quelles assurances peuvent-il avoir. Comment voir l’endroit de l’envers ? Comment prêcher un Messie crucifié, honni des grands prêtres, vénéré par le peuple, mais enterré aux enfers pour motif de blasphème et de sédition politique ? Manger est redevenu leur principale préoccupation. Telles sont nos sociétés modernes et leurs préoccupations quotidiennes. L’homme moderne est réduit à l’homo economicus, dénué de vie spirituelle et émotive, appauvri au rang des indices de la bourse mondiale et des cours du marché, dans l’espoir que le CAC 40 ne s’effondre pas et que la dette pharamineuse ne suscite pas une guerre mondiale. Nous courons toujours après notre bien-être matériel, laissant Jésus sur la rivage, lui qui pourtant ne cesse de nous appeler.

« Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. » Ap 1, 18
La mort effraie. La terrible réalité d’un être proche sur son lit de mort, la perspective de notre fin définitive, plus encore peut-être le fait de la déchéance progressive, tout cela nous trouble, nous angoisse et nous fait peur. La mort est le signe indubitable que la vie nous échappe. Si bien que lorsque nous formulons nos vœux de bonne année, nous insistons : « et la santé surtout » … Une seule personne cette année m’a souhaité : « et la sainteté surtout… » C’est dire que nous sommes accrochés à notre santé comme au radeau de la méduse. Cela se comprend. Il convient cependant de réfléchir à la vie et à la mort. La conscience de notre fragilité devrait nous faire vivre à hauteur de notre destinée qui doit passer par la mort sans aucune fuite du réel. « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » Cette parole liturgique du mercredi des cendres prend paradoxalement à Pâques toute sa saveur face au mystère de la résurrection, particulièrement en ce dimanche de la miséricorde.
L’apôtre saint Jean est sur son île de Patmos en Grèce, quand le Christ ressuscité lui apparaît. Jean touche la Vie véritable. Il craint de mourir. La vie et la mort sont proches. Mais de quelle mort parle-t-on ici ? Non point de la mort déchéance du tombeau que nous craignons tant. Non point de la mort séparation d’avec Dieu ou d’avec les autres en raison de nos guerres et de nos péchés. Non point de la mort qui conduit en enfer dans une séparation définitive qui est torture de l’âme parce qu’on s’est rendu incapable d’aimer en communion. « Ne crains pas, je suis le Premier et le dernier, le Vivant ; je fus mort et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l’Hadès. » [1] Il y a une mort qui conduit en enfer, dans l’Hadès ou le séjour éternel des morts. Il y a la Mort qui conduit à Dieu, c’est la mort passage, la mort qui est Pâque de résurrection.
[1] Ap 1, 18

« .. il n’était pas possible qu’il fût retenu en son pouvoir. » Ac 2, 14
« Jésus le Nazoréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous, ainsi que vous le savez vous-mêmes, cet homme, qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité le délivrant des affres de l’Hadès. Aussi bien n’était-il pas possible qu’il fut retenu en son pouvoir… Dieu l’a ressuscité ce Jésus, nous en sommes tous témoins » [1]
Quarante jours sont passés depuis les événements. Pierre et les onze apôtres ont rencontrés Jésus le ressuscité de nombreuses fois. Il s’agissait bien Jésus de Nazareth, leur maître avec lequel ils avaient vécu et peiné depuis les bords du Jourdain, qu’ils avaient vu crucifié et mort. Ils ont été pardonnés de leurs lâchetés et de leurs reniements. Ils ont reçu l’Esprit de Pentecôte, cet Esprit divin qui habitait Jésus durant tout son ministère en Galilée et en Judée. Ces hommes ne sont plus les mêmes. Ils sont passés par la mort avec le Christ. Ils sont ressuscités avec Lui. Morts à leurs fausses questions, morts à leurs incompréhensions face à la faiblesse et à l’humilité du maître se laissant conduire à la croix, morts à leurs prétentions de carrière ecclésiastique, morts à tous leurs péchés. Ils sont bien toujours les mêmes, avec leur tempérament et leur personnalité propre, mais désormais tout au service du maître.
[1] Ac 2, 22-24

« …et nous ne savons pas où on l’a déposé » Jn 20, 2
Au pied la croix ils n’étaient plus que quatre, trois femmes et un apôtre.
Judas a posé son geste tragique de désespoir. Sans doute l’Iscariote voulait-il forcer Jésus à une manifestation éclatante, preuve de messianité. Il n’a pas compris qu’il n’y aurait pas d’autres signes que celui de Jonas au ventre de la baleine, trois jours et trois nuits. On ne rassemble pas le peuple de Dieu dispersé à coup de preuves ou de manifestations éclatantes. Celui qui ne veut pas croire ne croira jamais. La vérité ne s’impose pas elle se propose. L’amour ne s’achète pas il s’invite en confiance comme à une danse. Judas n’a pas compris que le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde, Jésus ayant refusé toute messianité politique.
Pierre et les neuf autres apôtres sont enfermés dans la peur, cachés au cénacle ou retournés à la pêche. Ils n’ont pas compris l’enseignement du Maître annonçant sa passion et sa résurrection. « Cela ne t’arrivera pas » avait déclaré Pierre. [1] Consternés, meurtris, en larmes, les apôtres s’affligent de leur lâcheté, de leur reniement, malgré trois années sacrifiées pour le maître, au détriment de leur confort et de leur vie familiale, de leurs projets humains autant que de leurs amitiés. « Nous qui avons tout quitté » disait Pierre un jour à Jésus « quelle récompenses ? » [2] Le prix à payer de la suite de Jésus fut rude. La chute au soir du vendredi saint encore plus. Ils ont foi en Jésus et leur foi les a conduits au néant d’une crucifixion clôturant tout espoir d’en sortir. N’y a-t-il rien de pire que de vivre sans espérance ? Le découragement n’est-il pas l’arme préféré du démon ?
« Le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous… » Is 53, 6
« Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : PAR SES BLESSURES, NOUS SOMMES GUÉRIS. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. (…) Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs. » [1]
Le prophète Isaïe, dans son quatrième chant du serviteur, insiste pas moins de six fois en quelques versets pour dire la terrible vérité que saint Paul résume en disant : « Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions justice de Dieu. » [2]
« Quel est en effet le plus grand ? ... » Lc 22, 27
Ce que nous venons d’écouter et de contempler dépasse l’entendement. La passion de Jésus de Nazareth est un scandale au sens propre du mot, une pierre d’achoppement. « Lui qui était de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, il s’est vidé de sa divinité jusqu’à prendre la position de l’esclave. » [1] Cet hymne des premiers temps de l’Église, repris par saint Paul dans sa lettre aux Philippiens, nous crie le scandale qu’est Jésus crucifié, mystère au cœur de notre foi chrétienne. La terre d’Alsace est riche de beauté. Cette terre si belle et si riche est couverte de calvaires, partout, à la croisée des routes, à la porte des maisons petites ou grandes, au cœur de chaque village. Ne sommes-nous pas trop habitués ? Remarquons nous encore ce symbole fort et puissant où le plus grand parmi nous s’est fait le plus petit. Il a été compté au rang des malfaiteurs, subissant le pire des supplices, la crucifixion. Torture d’un très grand sadisme monté pour effrayer les populations occupées. Or voici qu’en regardant Jésus crucifié, si bas qu’un homme puisse tomber, cet homme trouvera quelqu’un qui est tombé encore plus bas que lui : Jésus de Nazareth. Cette réflexion de l’abbé Huvelin, le confesseur de Charles de Foucauld, a transformé l’officier français imbu de lui-même en ce doux adorateur de Jésus hostie, apôtre des Touaregs en Algérie.

« Moi non plus, je ne te condamne pas …” Jn. 8, 11
Avouons que nos paroles et nos pensées sont souvent pleines de jugements qui ressemblent à des condamnations. Certes les difficultés et les conflits du quotidien nous obligent à juger des personnes et des situations pour prendre de bonnes décisions. Juger et discerner, c’est peser le pour et le contre, évaluer et lire entre les lignes ce qui se joue en tel acte ou tel événement. Juger c’est surtout discerner l’œuvre de l’Esprit de vérité qui donne l’intelligence et le conseil pour regarder le monde et les personnes avec le regard de Dieu, avec l’espérance de Dieu, lequel travaille dans le temps et avec le temps. Comme il faut craindre les personnes qui manquent de discernement, surtout si elles exercent de hautes responsabilités. Juger c’est encore se former et nourrir son intelligence pour élargir le champ de son investigation, autant que le champ de sa compréhension. Avec une personne cultivée, disait le curé d’Ars, on peut toujours s’entendre. Quant bien même saint Jean-Marie Vianney ne savait pas lire le latin, il était fort cultivé. À sa mort, on a retrouvé en son presbytère une bibliothèque de plus de quatre cents ouvrages annotés de sa main.
Notre malheur est de nous faire trop souvent un devoir d’absolutisme en nos jugements. Nous risquons de prendre notre jugement pour une vérité totale et définitive, oubliant la part d’intérêts ou d’amour propre, ou encore de souci de nos appartenances sociales, prêts à défendre tout cela bec et ongle. Alors tombe la condamnation, c’est-à-dire l’enfermement d’une personne ou d’une situation à l’aune d’une fin définitivement arrêtée. Une affirmation, un mot, colle à la peau de la personne pour le restant de ses jours.

« Mon fils … est revenu à la vie » Lc 15, 24
« Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et retrouvé. » [1] Paroles scandaleuses à nos cœurs de pierre et face à nos désirs de justice à outrance autant que de vengeance dans l’hypocrisie de nos propres abominations. Que peuvent bien signifier de telles festivités au regard des injustices graves commises par ce fils indigne ? Il réclama son héritage et alla le dilapider dans la débauche et les plaisirs indignes. « Vous voulez de la justice, vous aurez de la justice » répondit un jour Thérèse de l’Enfant Jésus à une sœur qui la réprimandait sur sa confiance sans borne en la miséricorde divine. Et Thérèse d’ajouter : « on reçoit de Dieu exactement ce que l’on en attend. »
Triste image de notre monde contemporain. Tel le fils prodigue nous nous saisissons de l’héritage pour dilapider les biens reçus de Dieu. La nature n’a plus le droit de dire son mot sur l’homme et la femme. L’enfant est un projet avant d’être un don de Dieu. En un désir prométhéen l’homme veut augmenter son intelligence avec quelques fantastiques artifices. La déesse raison règne plus que jamais oubliant le cœur qui offre sa confiance pour aimer sans mesure. La planète peut exploser sous la folie meurtrière des bombes, si d’aventure l’équilibre de la terreur venait à être rompu par quelques avatars dont l’homme a le secret. Nous avons quitté les rives meurtrières du nationalisme suprématiste pour nous échouer sur les larges plages du doux commerce de la diversité heureuse qui veut faire fi des identités culturelles et de la beauté des visages. Les hérésies sont des idées justes devenues folles comme les idéologies qui aboutissent à la guerre sont des idées judicieuses devenues outrancières.
[1] Lc 22, 23-24
«Le buisson était embrasé, mais le buisson ne se consumait pas.» Ex 3, 2
En chacune de nos vies, les malheurs, les catastrophes, les maladies et les épreuves ne manquent pas. Le mal, la souffrance et la mort sont au rendez-vous de l’enfant qui vient au monde. Dans une terrible page Madeleine Delbrêl, avant sa conversion, crie sa souffrance : pourquoi naître si c’est pour être de la chair à canon ?
Devant les massacres humains à la Pilate, ou les tours de Siloé qui nous tombent dessus, nos réactions les plus courantes sont dans la culpabilisation à outrance ou la recherche perverse d’un coupable, ou la révolte et la colère, ou encore le déni et la fuite en des succédanés de vie, quand bien même ceux-ci sont moralement légitimes. On se jette à corps perdu dans son travail ou dans telle passion artistique pour oublier. D’aucuns mettront Dieu au placard. Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter cela ? D’ailleurs si le Bon Dieu était aussi bon que vous le dites, il ne permettrait pas le mal. Au moins, pour ceux-là Dieu existe encore. On peut lui taper dessus. Mais il est aux abonnés absents ou remisé aux antiquités d’un autre monde.
Qu’avons-nous fait nous les chrétiens pour qu’au sein même de nos communautés nous en soyons encore trop souvent là ?

« Celui-ci est mon Fils, l’Élu, écoutez-le » Lc 9, 35
« Mes pensées ne sont pas vos pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins » avait déjà dit le prophète Isaïe. [1] Très souvent Dieu nous déroute dans la conduite de notre vie. Dieu nous éprouve par sa patience et sa façon de procéder. Les épreuves et le mal frappent notre vie. Ils nous font souvent crier vers Lui. Ils nous conduisent aussi à la révolte, à la colère, voire au reniement partiel ou total. Les apôtres n’ont pas été épargnés. Devant le scandale de la croix tous, ils Le laissèrent seul.
Dieu n’est pas un théorème de mathématique qui se prouve. La vérité qu’est Dieu n’est pas dans les livres des scientifiques, quand bien même leurs vérités ne sont que des vérités temporaires. Car qui peut sonder les profondeurs de l’univers, qui peut comprendre les inconnus de l’infini grand et de l’infiniment petit ? Notre Dieu est un dieu d’amour qui cherche à atteindre notre cœur pour le rendre au sien. Dieu est un fiancé. Il cherche sa fiancée afin de la conquérir en lui laissant le temps d’une réponse pleinement libre. En amour il n’y pas de preuves, il n’y a que des signes.
[1] Is 55, 8

« Ayant épuisé toutes les formes de tentation » Lc 4, 13
Qu’en est-il de l’existence du diable ? Une simple forme littéraire, une façon imagée de parler du mal en l’homme, de ses difficultés spirituelles ou psychologiques ? « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas. » [1] écrit le poète. L’Église enseigne que les anges « sont des créatures purement spirituelles qui ont intelligence et volonté, créatures personnelles et immortelles qui dépassent en perfection toutes les créatures visibles. » [2] L’apôtre Paul affirme que « c’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu » [3] Le credo de Nicée-Constantinople proclame « Dieu le Père tout puissant, créateur de l’univers visible et invisible. ». Certains anges, créés bons comme toute créature de l’univers, se sont révoltés contre Dieu. Lucifer, le chef des anges porteur de lumière, est devenu par son refus de servir, le Satan qui n’a de cesse désormais que de vouloir faire écran entre l’homme et Dieu. Mais Satan n’a que le pouvoir qu’on lui laisse. La victoire sur lui est acquise à jamais par l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ. Reste à entrer dans ce mystère de salut, car comme disait un jeune homme quand je ne servais que mon égoïsme j’avais toutes les filles que je voulais. Désormais que je sers le Christ, il n’en est rien et j’ai des tas d’ennuis.
[1] Charles Baudelaire. Les fleurs du mal
[2] CEC 329
[3] 1 Jn 3, 8

« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » Mt 2, 2
Quelle est donc cette étrange procession à la grotte de Bethléem ? Qui sont ces mystérieux sages venus d’Orient se prosterner devant un nouveau-né, somme toute semblable à tant de tout petits nés cette nuit parmi tant d’autres nuits ? Après les bergers, conduits par les anges, voici que la sagesse des nations vient adorer le roi des juifs. Ceux-là guidés, non par les anges, mais par une simple étoile parmi des milliards d’étoiles. Étrange et mystérieux spectacle, théâtre qui a traversé les siècles. Aujourd’hui encore nous célébrons l’événement jusqu’à faire de ces mystérieux personnages des rois au couleur de toutes les nations, et de nous demander nous-mêmes qui sera roi par la vertu d’une fève qui ne ressemble même plus à un enfant. Où donc, en cette fête, est passé l’enfant et la sagesse des nations ?

“Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?” Lc 1, 48
Qui aurait pu imaginer une telle scène ? Quel esprit génial aurait pu écrire un tel dialogue entre deux femmes enceintes que tout sépare ? Le récit de la visitation de la Vierge Marie à sa cousine Élisabeth est surprenant. Le nier c’est ne pas faire droit à l’invraisemblance qui, cependant, illumine le cœur et l’esprit dépassant l’entendement humain laissé à ses seules forces rationnelles.
L’annonciation de l’ange Gabriel à la Vierge Marie a lieu dans le secret de la maison de Nazareth. Marie en garde jalousement le secret, ne voulant pas dévoiler son mystère, au risque d’être voué à la vindicte populaire en raison d’une conception qui, humainement, paraîtrait illégitime. Toujours dans le plus grand secret, le ciel s’occupe de Joseph, le fiancé, afin de lui révéler le mystère, l’encourageant à accepter, dans la foi, de prendre chez lui « son épouse ». Marie part en hâte pour Eïn Karim, situé à plus d’une centaine de kilomètres de Nazareth. Décision solitaire, à n’en point douter, d’une jeune fille qui sut, sans aucun doute, motiver sa démarche sans rien dévoiler des vraies raisons. Encore une fois, il ne faut pas éveiller les soupçons.
« Tenir debout devant le Fils de l’homme » Lc 21, 36
Quel temps fait-il ? Dans quels temps sommes-nous ? Que pouvons-nous attendre en ce temps et de ce temps ? Questions malhabiles et hésitantes souvent, mais questions bien réelles de nos conversations. Nous savons que le temps n’est pas d’abord ou seulement une question d’heures, de semaines, de mois ou d’années. Quand nous pleurons après le temps passé, qui d’après nous devait être meilleur, ou bien quand nous nous projetons dans le temps futur dans l’espoir que tout ira mieux, nous posons la question fondamentale du sens du temps. Que vivons-nous dans le temps que mesurent nos horloges ? Quel est le sens l’histoire, de notre naissance et à notre mort ? Quel est Le sens de l’histoire des hommes selon la mesure de notre pays et de notre enracinement culturel ?
« Quiconque est de la vérité, écoute ma voix. » Jn 17, 37
Pouvait-on imaginer un dialogue plus fort et plus emblématique que celui de Pilate avec Jésus en ce faux procès où le Christ est livré, abandonné des siens ? À cette heure unique de l’histoire, le salut du monde est en jeu. La guerre et la paix se jouent précisément là, en ce drame des années 30. Deux hommes se font face : l’un a pouvoir de vie et de mort sur ses semblables. L’autre s’offre à la vie et à la mort pour décider du sort du monde entier et de l’issue de l’histoire de tout homme et de tous les hommes. Le temps et l’éternité s’affrontent en un duel tragique où se jouent la vie et la mort de chacun d’entre nous. Jésus en est le pontife suprême, le pont entre Dieu et les hommes, au point que saint Jean dépeint Jésus dans sa passion avec les habits de l’empereur romain, la couronne et le manteau de pourpre, assis entre deux assesseurs tel un empereur régnant. Dérision de la part de Pilate pour Jésus mais questionnement de fond : Qui est Dieu ? L’empereur Auguste représenté par Pilate ou Jésus, le Messie ? Qui est roi ? Le gouverneur romain avec ses légionnaires ou Jésus avec ses anges ? Qui, ici, va décider de la guerre ou de la paix entre les hommes ? Pilate ou Jésus ? …