« Vient après moi un plus fort que moi… » Mt 3, 11
Il était très fort Jean le Baptiste. Voyez comme il fait courir au bord du Jourdain tout Jérusalem et tous ceux des pays d’alentours. « Quand il y a une source quelque part on trace des sentiers pour la rejoindre » dit un proverbe africain. Voici donc un pauvre ermite, vêtu de poils de chameaux et ne mangeant que sauterelles et miel, perdu dans les déserts au bord du Jourdain, reclus dans ces terres arides de la vallée de Jéricho, tel un roseau à tous les vents, tel un moustique du désert. Et pourtant, c’est ce misérable vermisseau qui fait se déplacer de nombreux habitants de Judée et de Galilée. Il est fort Jean-Baptiste. Au point que les chefs religieux s’en inquiètent et envoient force délégation. Plus fort encore le voici à traiter les chefs des prêtres d’engeance de vipères. Quelle audace ! Disputer les catéchistes du peuple, les plus instruits en religion et les guides de la nation juive, même sous occupation romaine. Comme il faut être très fort pour oser s’opposer aux gardiens de la foi juive pour les inviter à la conversion. Ce qui, soit dit en passant, signifie que l’on peut être religieux pratiquant et n’être pas dans la bonne direction selon Dieu, car c’est cela que veut dire se convertir : prendre dans sa vie la bonne direction.
« Veillez donc, … votre Seigneur vient. » Mt 24, 47
Sommes-nous des veilleurs ? Sur quoi veillons-nous ? Y-a-t-il une attente profonde qui oriente et motive toute notre vie ? Ou bien sommes-nous simplement occupés à nos activités en attendant que le temps passe nous apportant simplement la consolation des biens, parfois durement gagnés, ou rapidement mis à notre disposition par une société de super-consommation ? Ne tuons. nous pas trop souvent le temps avant que le temps ne nous tue ? Ne jouissons-nous pas plutôt que de chercher la vraie joie ? N’espère-t-on pas avant toute chose la santé et la réussite professionnelle ou ce qui satisfera nos passions et nos désirs ? Très concrètement combien de temps allons-nous passer dans les magasins avant Noël par rapport au temps où nous irons adorer Jésus à l’Église dans le plus grand silence ?
« Tout sera détruit. » Jn 21, 6
Les disciples sont heureux. Rien ne leur manque. Joie profonde pour eux d’avoir trouvé le Messie. Ils sont les témoins des merveilles que ce dernier accomplit. Les aveugles voient. Les boiteux marchent. Les sourds entendent. Les démons sont chassés. Les morts ressuscitent et le pardon est donné. [1] Que peuvent-ils bien craindre avec un tel maître ? Les voici sans doute comme à l’accoutumée, à Gethsémani, au jardin des olives, en prière avec lui. Depuis Gethsémani, colline située à l’Est de Jérusalem, au-delà de la vallée du Cédron, on contemple toute la ville située sur la colline de Sion. C’est aujourd’hui encore la photo la plus célébre de Jérusalem avec l’esplanade du Temple en perspective sur toute la hauteur de Sion, dominée actuellement par l’or du dôme du Rocher et la mosquée El Aqsa. Quelle splendeur cela devait être quand le temple n’était pas détruit. Les pierres blanches et ocre, brillant au soleil du matin, dégagent la grandeur unique de ce Temple. Certes les disciples sont conscients des oppositions que Jésus suscite, surtout parmi les chefs du peuple. Mais son entrée triomphale à Jérusalem représente un peu la consécration de ce Temple et l’assurance que Dieu est bien là, présent en la personne de Jésus, au milieu de son peuple. Tout leur compagnonnage avec Jésus leur laisse penser à un prochain accomplissement du salut du peuple. Pourquoi pas à une délivrance de l’occupation romaine, puisque tout est si beau et si rassurant, au-delà même de certaines controverses.
En Jésus le Messie, Dieu est avec nous, que pourrions-nous craindre, pensent les disciples ? Tout avec Lui semble aussi solide que ce temple, temple admirable et indestructible à leurs yeux, par sa force et sa puissance de construction, autant que par sa beauté lumineuse.
Or voilà que Jésus leur annonce solennellement : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » [2]
[1] Mt 11, 5 sv
[2] Lc 21, 6
« C’est à moi que vous l’avez fait. » Mt 25, 45
Il est onze heures du matin ce 11 novembre 1918. L’armistice, signé six heures plus tôt, entre en vigueur. Des deux côtés, les derniers soldats sont tombés. Les plénipotentiaires allemands et français se retirent. « On a gagné la guerre, il sera difficile de gagner la paix » s’exclame Georges Clémenceau … Un an plus tard, à la signature du traité de Versailles, le maréchal Foch dira : « Ce n’est pas une paix c’est un armistice de vingt ans. » Pourquoi ? Pourquoi dix millions de soldats et cinq à dix millions de civils tués ? Pourquoi les plaines généreuses du Nord de la France complètement ravagées, les villages rasés, tel un champ retourné par les lames d’une très puissante charrue ? Pourquoi toute cette « boucherie » et cette désolation ? Les blessures du cœur et de l’âme des deux côtés du Rhin échappent à toutes les statistiques, mais les tragiques crevasses des âmes vont continuer leur œuvre mortifère sur des générations. La mémoire blessée alimentera les ardeurs guerrières de la seconde guerre mondiale. Cycle infernal de la violence qui appelle la violence, de la soif de pouvoir qui appelle toujours plus de pouvoir. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Un seul mot, un seul : la nation ! …
« Se faisant un fouet de cordes il les chassa tous du Temple… » Jn 2, 15
La colère de Jésus dans le Temple n’est pas un effet de style, un tableau secondaire d’un chapiteau de cathédrale. Nous n’avons guère l’habitude de considérer la colère de Dieu. Nous préférons la douceur et l’humilité du Christ, au risque de les considérer en des couleurs saint sulpiciennes un peu kitch pour une spiritualité à l’eau de rose. Époque de la psychologie non directive et de l’interdiction des fessées. Monsieur Émile Rousseau domine les esprits : l’homme est naturellement bon. Une certaine culture le pervertirait. L’enfant, reflet des adultes, doit donc pouvoir choisir tout ce qu’il veut selon ses désirs et ses fantasmes, ceci dès le plus jeune âge. On protège les bourreaux. On condamne les autorités chargées de la répression. L’air du temps est à la déculpabilisation ou bien à la culpabilisation renversée. Le consensus fait la loi. Ce n’est plus la loi qui fait le consensus. Rien de plus mutable qu’un consensus selon les époques ou les idéologies à la mode. On ne sait plus la droite de la gauche, l’envers de l’endroit, ni ce qui est beau et laid, juste ou injuste. Qu’importe de présenter comme œuvre d’art un batracien gonflable, le derrière en l’air, sur l’une des plus belles places de Paris. C’est le summum du génie humain, nous dit-on ! …Dieu n’est pas dans ce bazar culturel.
« Dieu les a mis à l’épreuve… » Sg 3, 5
Est-il bien vrai qu’on ira tous au paradis, comme dit la célèbre chanson. [1] Beaucoup d’entre vous font encore dire des messes pour leurs défunts. Mais globalement cette coutume tend à se perdre. Les inscriptions sur les tombes des cimetières portent encore en nos régions des symboles chrétiens, mais, assez largement en Europe, les signes chrétiens sur les tombes disparaissent. Notre société demeure cependant inquiète devant la mort. Les rites funéraires évoluent en des modes qui voudraient nous rassurer devant la mort, soit en évacuant les questions fondamentales de l’humanité (d’où je viens, qui suis-je et où je vais ?) soit avec des rites aux symboles de simple souvenir, soit par des pratiques qui effacent les anciennes croyances chrétiennes au profit de gestes symboliques marquant un retour aux religions premières.
[1] Michel Polnareff
« Ceux-là viennent de la grande épreuve… » Ap 7, 14
Qu’est-ce qu’un saint ? Quelqu’un de parfait, sans aucun défaut, et qui ne tombe jamais ? Non. Voyez saint Jérôme avec son mauvais caractère, saint François de Sales et ses colères rentrées, sainte Thérèse et sa susceptibilité d’enfant.
Qu’est-ce qu’un saint ? Quelqu’un aux charismes et talents extraordinaires accomplissant des œuvres à vous couper le souffle ? Non, voyez saint Nicolas de Gesturi, humble capucin sarde, que toute la population de Cagliari appelait frère silence, et tous ces saints inconnus qui sont au calendrier ayant mené une vie cachée comme le sel dans la soupe ou le levain dans la pâte.
Qu’est-ce qu’un saint ? Forcément, me direz-vous, un religieux ou une religieuse! Non point si on en juge par le sainteté des parents de Thérèse de l’Enfant Jésus, le témoignage bouleversant de ces jeunes de notre époque : Chiara Badano, morte à 19 ans d’un grave cancer, Chiara Petrillo, mère de famille, Pier Giorgio Frassati et Carlo Acutis, jeune homme et jeune adolescent … Des jeunes d’aujourd’hui qui nous précèdent au ciel.
« … à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes … » Lc 18, 9
« Deux hommes montèrent au Temple pour prier… » [1] Jésus les regarde avec amour. Il constate. Le premier est un pharisien. Catéchistes du peuple, les pharisiens sont des hommes honorables et tout à fait respectables. Très versés dans les Écritures, ils ont charge d’enseigner et de chercher la voie droite pour marcher sur les chemins du Seigneur. La prière de ce pharisien est parfaitement honnête et juste. Tout ce qu’il pratique est dans la Loi de Moïse. Il peut se réjouir d’offrir à Dieu tout ce qu’Il observe pour que le nom de Dieu soit glorifié dans sa vie.
Malheureusement, à cette juste et noble pratique, quasi un sans-faute, se mêlent l’orgueil et l’amour propre. Comment cela ? En se comparant à un pauvre israélite venu prier en demandant simplement la pitié de Dieu, car, lui, ce pauvre, n’a rien d’autre à offrir au Seigneur que sa misère. Se comparer aux autres c’est toujours se mettre au-dessus ou en dessous des autres, soit pour se glorifier à leur détriment, soit pour se mépriser à leur dépens et à nos dépens. Dieu ne compare jamais ses enfants, telle une mère qui regarde chacun des siens comme un unique.
[1] Lc 18, 10
« Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Lc 18, 8
Jésus a peu enseigné sur la prière. Point de long discours de sa part. Seulement deux éléments essentiels quant à la nécessité de prier et quant au contenu de notre prière. Le premier enseignement est de persévérer dans la prière, toujours et partout. Le deuxième est de ne pas prier autrement que le Notre Père nous l’enseigne. Nous pouvons prier avec d’autres mots que le Notre Père, mais pas autrement. Une prière qui ne prend pas sa source dans le Notre Père n’est point chrétienne. Toute la vie de Jésus est une manifestation exemplaire de ce double enseignement. À lire intégralement les évangiles, particulièrement celui de Luc, on découvre Jésus qui ne cesse de prier tout au long des jours. Jamais Jésus n’entreprend une mission ou de faire du bien à une personne sans commencer par prier son Père. Dans son grand et dernier enseignement à ses disciples avant de mourir, Jésus manifeste à ses apôtres le contenu de sa prière. Ce sont les admirables chapitres de l’évangile selon saint Jean entre la résurrection de Lazare et la Passion, particulièrement le chapitre 17 dit de la prière sacerdotale. Le Notre Père est la prière de Jésus. La prière de Jésus avant sa passion est le déploiement de la prière chrétienne du Notre Père. Jésus ne prie pas autrement que selon le Notre Père.
“Pour obéir à la parole…” 2 R 5, 14
Qu’il est beau cet homme originaire de Syrie, vaillant et très considéré à la cour du roi d’Aram. Général d’armée, habituellement il commande et les soldats obéissent. Dramatiquement sa situation s’est complètement retournée contre lui. Il est atteint de la lèpre. Inguérissable à l’époque, la maladie signe une exclusion sociale totale. À la déchéance des relations se joint la déchéance physique. La lèpre va inexorablement ronger le corps pour la mort. Le général ne commande plus rien. La maladie est maître. C’est elle qui commande jusqu’à terme.
Une petite servante, une de celle qui obéit par condition sociale, une jeune israélite prise en esclavage par l’ennemi et récupérée par le général lors de ses conquêtes, va conduire le grand homme à un acte d’obéissance splendide : aller humblement consulter le prophète Élisée, du pays de Samarie, pays des étrangers à son peuple.
« Dieu a tellement aimé le monde… » Jn 3, 16
« Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. »[1] Qui dira ce mystère ? Qui peut parler avec justesse de ce qui dépasse l’entendement ? La reine Hélène, la mère de l’empereur Constantin, nous conduit aujourd’hui en pèlerinage à Jérusalem et nous invite à l’adoration, au silence amoureux plein de reconnaissance devant l’abaissement du Fils de Dieu, Jésus mort en croix, ressuscité en Gloire.
Jamais aucune religion n’a pu imaginer que le Dieu suprême, le Créateur de l’Univers, puisse aller jusqu’à se donner Lui-même, en tout lui-même. Que Dieu protège les hommes, ses créatures, que Dieu obtienne toutes sortes de biens pour le salut des hommes, que Dieu dirige le monde et les guerres des hommes pour les mener à la victoire, tout cela est facilement concevable. Toutes les religions en parlent. Mais que Dieu devienne un homme pour se livrer, homme parmi les hommes, et faire que l’homme devienne semblable à Dieu, par communion des deux natures humaine et divine, cela dépasse l’imagination. Les meilleurs théologiens restent là, « bouche bée comme des carpes. » [2]
« Celui qui ne porte pas sa croix ... » Lc 14, 27
Ou bien… ou bien… Le Christ ne nous laisse aucune alternative. Le compromis n’est pas possible. Ou bien j’accepte de porter ma croix à la suite de Jésus et je suis son disciple, ou bien je refuse et je m’exclus de la communauté de Jésus. Ou bien je renonce à tout, ou bien je n’ai pas de part au salut… Le compromis n’est pas un mot de l’Évangile.
Les déclarations de loyauté les plus sincères ne servent à rien. La pratique religieuse la plus régulière ne fait pas le poids. Dis-moi comment tu vis les épreuves de ta vie et je te dirai si vraiment tu es, oui ou non, un disciple du Christ. La plupart du temps nous nous plaignons de nos souffrances. Nous ne faisons que subir nos épreuves. « Je n’ai pas le choix » disons nous … Subir ce n’est pas être libre. Subir ressort du fatalisme et de l’esclavage.
Nous cherchons tous à réussir dans la vie. C’est normal et sain. Mais cherchons nous à réussir notre vie ? Or cela se vérifie lorsque l’on est contraint d’affronter les difficultés, les épreuves et la souffrance sous toutes ses formes. La pierre d’achoppement de nos vies est là. Jésus est radical : « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. »
« Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité… » Si 3, 17
« Mon fils, accomplis toute chose dans l'humilité, et tu seras aimé plus qu'un bienfaiteur. » Voilà une maxime de sagesse, source de paix et de justice. D'où viennent en effet la plupart des conflits entre nous sinon de l'affrontement de nos egos. Forts des biens en notre possession nous n'avons de cesse d'en remontrer aux autres pour exister. Combien de fois dans nos conversations nous disons des « moi je... » ? Combien de temps partageons-nous notre vie sinon pour nous raconter en nous faisant valoir ? Notre souci premier est-il de mettre d'abord nos proches en valeur ? Notre préoccupation première est-elle de découvrir ce que l'autre a de beau et de bon pour l'en féliciter et lui donner d'augmenter sa mesure ? Nos amitiés les plus réelles, nos conversations les plus fraternelles, nos services rendus les plus ardents peuvent souvent cacher subtilement l'intérêt d'en tirer profit et d'avoir un retour. La gratuité du don nous échappe trop souvent. Donner d'une main pour recevoir d'une autre est plutôt notre quotidien. L'Évangile nous avertit de donner à qui ne peut nous rendre, de nous livrer à celui qui ne pourra jamais payer de retour.
« Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix… » He 12, 2
Le propre du feu est d’abord de faire sortir du bois toutes les impuretés, particulièrement l’eau dont il est chargé. Nous aimons le feu, la lumière et la chaleur qu’il produit mais que d’efforts il a fallu pour fabriquer le bois et le bûcher.
« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » [1] Le baptême de Jésus sera un baptême par le feu d’une cruelle passion. Nous rêvons notre vie comme celle d’un Thabor sans fin dans la lumière de la Transfiguration, quand Jésus nous parle du chemin de croix qui y mène. À ses disciples qui rêvent d’avoir les premières places au Royaume des cieux Jésus présente la coupe à laquelle il va boire, la coupe de l’amertume d’une passion dévastatrice. Quand Jésus vient à parler ouvertement de sa passion, Pierre lui fait de vifs reproches prétextant que cela ne lui arrivera jamais. Il se fait traiter de Satan par Jésus. À ses contemporains qui rêvent d’être libérés de leurs ennemis babyloniens assiégeant la ville sainte de Jérusalem, le prophète Jérémie prêche de se rendre à l’ennemi et d’accepter de partir en exil, sans quoi de plus grand malheur adviendront. Nous rêvons de paix et de justice. Nous voulons l’harmonie et la concorde entre nous. Or bien souvent nous n’avons que disputes et discordes. Après 1945 nous avons pensé la fin de l’histoire et des guerres, ignorant la guerre froide qui se déroulait à l’insu du commun des citoyens, armant les deux partis d’un arsenal nucléaire capable de détruire plusieurs fois la planète. Le réveil aujourd’hui est brutal...
Nous passons notre temps à faire du déni du réel afin d’assouvir notre besoin naturel de sécurité et de jouissance dans la cercle restreint de nos intérêts particuliers. Nous abandonnons à nos politiques de trouver l’équilibre sans lequel les intérêts particuliers aboutiraient à des conflits ouverts.
Nous oublions que le Royaume de Jésus n’est pas de ce monde.
[1] Lc 12, 49
Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme … » Ap 11, 19
L’assomption de la Bienheureuse Vierge Marie en son corps et en son âme, en quoi nous concerne-t-elle vraiment ? Ne serait-ce pas qu’une pieuse réalité cotonneuse de nos tableaux baroques ? Magnificence qui ne nous touche pas vraiment ou du moins seulement parce que son Fils Jésus est notre Sauveur. Imaginons un seul instant qu’une famille du village retrouve vide la tombe de la maman décédée récemment. Enquête policière, larmes et pleurs, grands titre dans les journaux pour parler de profanation. Chiens limiers et détectives pour retrouver le corps. Car le corps est signe d’une parole. Le corps de la défunte même réduit à l’état de cadavre ou de cendre est l’expression d’une parole. Non d’une parole individuelle qui ne concernerait que son mari, mais les enfants nés de cette parole d’amour la famille, et les amis du village… L’insupportable dans la mort de nos proches n’est point tant l’absence physique que l’absence de parole. Le matin je me lève. Elle n’est plus là pour me dire « Je t’aime » et m’en donner les signes corporels.
Ce matin-là à Jérusalem, dans la vallée de Josaphat, la vallée du jugement, des proches vont au tombeau de la Mère du Seigneur. On l’a enterrée trois jours plus tôt. Stupeur ! Le tombeau est vide. La nouvelle se répand dans toute la ville et dans le pays. La tradition ne nous relève même pas les signes de ce tombeau vide comme pour Jésus : le tombeau trouvé vide avec les linges posés à leur place, signe que nul n’a volé le corps. La tradition orientale, pudique en sa foi, proclame quelques siècles plus tard la dormition de Marie. Ce n’est pas conclusion d’enquête, mais conclusion du cœur, car ce n’est qu’avec lui, le cœur, que l’on voit juste, disait saint Exupéry.
« Apprends-nous la vraie mesure de nos jours … » Ps 89, 12
Qui aujourd’hui vit comme si ce jour devait être le dernier jour de sa vie ? Et pourtant ? Nous savons bien que nous sommes mortels, mais c’est toujours pour le plus tard possible. Et quand cela arrive, même à un âge avancé, c’est toujours trop tôt. Ils sont rares ceux parmi nous qui vivent en pensant réellement que demain, voire aujourd’hui, ce pourrait être le dernier jour. Et pourtant, tant de vies qui, autour de nous, sont atteints par de terribles limites de santé, des handicaps si lourds, des maladies si longues et si invalidantes. Les progrès de la médecine nous promettent paradoxalement une vie toujours plus longue autant que de moins souffrir, tout en pouvant décider de la fin de notre vie. Alors tant que nous ne sommes pas atteints d’un mal quelconque, tout nous pousse à espérer farouchement une longue vie avec le moins de souffrances possibles. Le tout reçu comme un droit sur lequel personne ne doit venir empiéter, pas même Dieu qui risque d’être le grand accusé au cas où une tuile invalidante nous tomberait sur la tête. Si le Bon Dieu était vraiment bon, cela ne serait pas arrivé ! … Que la vie soit défendue bec et ongle est une idée juste mais aujourd’hui dévoyée. Car qu’est-ce que la vie humaine ?
“Demandez et l’on vous donnera.” Lc 11, 9
Les villes de Sodome et Gomorrhe sont passées à la postérité. Par Georges Brassens, en sa chanson « Les copains d’abord » ou par nombres d’écrivains ces villes sont à jamais stigmatisées comme dépravées et disparues de la surface de la terre. Mais qui se souvient de la prière d’Abraham pour ces deux pauvres villes du Moyen-Orient ? Qui a la mémoire de ce « petit marchandage spirituel » de notre Père dans la foi ? Abraham rappelle à Dieu non seulement que sur cette terre de débauche il y a encore des justes. Il touche aussi son cœur de père qui doit et ne peut qu’avoir pitié de tous.
Dieu de tendresse et de miséricorde, lent à la colère et source de vie, c’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob que nous confessons depuis des millénaires. Par toute sa vie et tout son enseignement Jésus Messie est venu faire « exploser » ce visage de tendresse de Dieu. « Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » [1] « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs. » [2] Qui de nous ne s’est pas senti un jour un repéché de la miséricorde divine, un sauvé des eaux de l’égoïsme et de l’orgueil ? La paternité de Dieu n’a de puissance qu’en amour. L’enfer c’est l’homme qui le crée et qui s’y précipite. Non point le Seigneur qui veut sauver tous les hommes. Mais nul ne peut forcer l’amour…
[1] Jn 10, 10
[2] Mc 2, 17
« … que là où je suis, eux aussi soient avec moi. » Jn 17, 24
Les paroles que nous venons d’entendre sont les dernières paroles de Jésus avant sa mort en croix. Ultimes paroles qui résument tout son enseignement, tel le point d’orgue de la grande symphonie musicale de son incarnation. Paroles testament d’un mourant, plus vivant que bien des morts vivants que nous sommes trop souvent. Ma vie, dit Jésus, « personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre… » [1] En ces paroles toutes contenues dans le chapitre dix-sept de saint Jean, traditionnellement appelé la prière sacerdotale, Jésus nous livre son âme, son cœur profond. Chacune de ces paroles est comme la facette unique d’un diamant multiforme. En chaque facette du diamant nous contemplons qui est Dieu pour nous en Jésus, qui nous sommes pour Dieu.
Qui sommes-nous donc pour Dieu ? Nous sommes nés de Dieu dans le sein de notre mère, car c’est Lui seul, Dieu, qui nous a donné notre âme, ce qui fait de nous un être unique.
« … jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » Lc 24, 49
Quarante jours se sont écoulés depuis la première apparition de Jésus ressuscité. Quarante jours où les apôtres ne cessèrent pas de faire des allers et retours dans leur tête comme sur le terrain. D’ici de là, entre tout ce dont ils avaient été témoins de la vie et de l’enseignement de Jésus et l’échec de la Passion, entre la contradiction des merveilles de son ministère et la terrible crucifixion, entre la tombe scellée et le tombeau vide, et désormais voici les apparitions en tout lieu hors de toutes les règles de vie de l’homme ordinaire. Jésus était bien le même mais tout autre. Il était bien le Jésus de Nazareth, fils de Joseph, avec lequel ils avaient mangé, bu, marché et peiné, sans oublier les fêtes et les repos. Ce même Jésus pouvait manger avec eux, mais n’en n’avait nul besoin. Il était toujours là mais pas toujours visible. Il était visible mais toujours d’une manière surprenante. Ses plaies demeuraient bien réelles mais laissaient désormais passer la lumière et non plus le sang versé jusqu’à la dernière goutte.
Quarante jours sont passés. Ce n’était pas de trop pour un peu réaliser l’inouï de Dieu, l’inconcevable, l’impensable dont les évangélistes ne craignent pas de nous dire qu’ils n’avaient pas compris.
« Si quelqu’un m’aime… » Jn 14, 23
Notre vie chrétienne, comme notre vie sociale, est pleine de coutumes, d’habitudes, de rites et de traditions. Sans cela nous ne pourrions pas vivre. Il suffit qu’une époque laisse tomber des coutumes pour qu’on en invente d’autres. Coutumes et habitudes deviennent traditions. En leur nom rien ne doit changer. Naturellement, puisqu’elles disent le sens de la vie de la communauté. Toucher aux traditions d’une religion c’est toucher à ce qui relient les personnes à leur dieu, à leur semblable et à leur monde de vie. Les petits enfants sont redoutables. Avec leur regard neuf ils ennuient les adultes pour leur demander sans cesse : mais pourquoi fait-on cela, ou comme cela ? Bien embarrassés ceux-ci répondent souvent : « on a toujours fait comme cela ». Oui, mais pourquoi ? Et surtout en vue de quoi ? L’enfant attend une réponse. Sans quoi il ira en chercher une ailleurs.
Nos premiers frères chrétiens venaient tous du judaïsme. La tradition rituelle de la circoncision était un marqueur identitaire. La vie vient de Dieu et appartient à Dieu. C’est Dieu qui donne la vie et nous soutient dans la vie pour nous conduire à la vie en plénitude. La marque charnelle de la circoncision dit la foi de l’israélite à l’intime de son corps, car en judaïsme on ne sépare jamais l’âme et le corps, l’éros de l’agapè.
Alors fallait-il imposer aux chrétiens venus du monde grec la fameuse circoncision. Le premier concile de Jérusalem va répondre non. Car une tradition n’est pas la Tradition. Une tradition si belle et bonne soit-elle, riche d’un sens plein de vitalité, ne doit pas se confondre avec la foi en sa grande Tradition avec un grand T. Tout le monde sait en Israël que le commandement suprême est d’aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même. Tout le monde sait en Israël que le chemin pour y parvenir est de lire abondamment la Torah, les Écritures divines transmises par les patriarches et les prophètes. Lire la Torah est un devoir sacré car elle seule structure le cœur et la pensée du croyant dans le souffle de Dieu offrant à tout un chacun de vivre et de donner la vie dans la vérité et la charité.