
« Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. » Ap 1, 18
La mort effraie. La terrible réalité d’un être proche sur son lit de mort, la perspective de notre fin définitive, plus encore peut-être le fait de la déchéance progressive, tout cela nous trouble, nous angoisse et nous fait peur. La mort est le signe indubitable que la vie nous échappe. Si bien que lorsque nous formulons nos vœux de bonne année, nous insistons : « et la santé surtout » … Une seule personne cette année m’a souhaité : « et la sainteté surtout… » C’est dire que nous sommes accrochés à notre santé comme au radeau de la méduse. Cela se comprend. Il convient cependant de réfléchir à la vie et à la mort. La conscience de notre fragilité devrait nous faire vivre à hauteur de notre destinée qui doit passer par la mort sans aucune fuite du réel. « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » Cette parole liturgique du mercredi des cendres prend paradoxalement à Pâques toute sa saveur face au mystère de la résurrection, particulièrement en ce dimanche de la miséricorde.
L’apôtre saint Jean est sur son île de Patmos en Grèce, quand le Christ ressuscité lui apparaît. Jean touche la Vie véritable. Il craint de mourir. La vie et la mort sont proches. Mais de quelle mort parle-t-on ici ? Non point de la mort déchéance du tombeau que nous craignons tant. Non point de la mort séparation d’avec Dieu ou d’avec les autres en raison de nos guerres et de nos péchés. Non point de la mort qui conduit en enfer dans une séparation définitive qui est torture de l’âme parce qu’on s’est rendu incapable d’aimer en communion. « Ne crains pas, je suis le Premier et le dernier, le Vivant ; je fus mort et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l’Hadès. » [1] Il y a une mort qui conduit en enfer, dans l’Hadès ou le séjour éternel des morts. Il y a la Mort qui conduit à Dieu, c’est la mort passage, la mort qui est Pâque de résurrection.
[1] Ap 1, 18

« .. il n’était pas possible qu’il fût retenu en son pouvoir. » Ac 2, 14
« Jésus le Nazoréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous, ainsi que vous le savez vous-mêmes, cet homme, qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité le délivrant des affres de l’Hadès. Aussi bien n’était-il pas possible qu’il fut retenu en son pouvoir… Dieu l’a ressuscité ce Jésus, nous en sommes tous témoins » [1]
Quarante jours sont passés depuis les événements. Pierre et les onze apôtres ont rencontrés Jésus le ressuscité de nombreuses fois. Il s’agissait bien Jésus de Nazareth, leur maître avec lequel ils avaient vécu et peiné depuis les bords du Jourdain, qu’ils avaient vu crucifié et mort. Ils ont été pardonnés de leurs lâchetés et de leurs reniements. Ils ont reçu l’Esprit de Pentecôte, cet Esprit divin qui habitait Jésus durant tout son ministère en Galilée et en Judée. Ces hommes ne sont plus les mêmes. Ils sont passés par la mort avec le Christ. Ils sont ressuscités avec Lui. Morts à leurs fausses questions, morts à leurs incompréhensions face à la faiblesse et à l’humilité du maître se laissant conduire à la croix, morts à leurs prétentions de carrière ecclésiastique, morts à tous leurs péchés. Ils sont bien toujours les mêmes, avec leur tempérament et leur personnalité propre, mais désormais tout au service du maître.
[1] Ac 2, 22-24

« …et nous ne savons pas où on l’a déposé » Jn 20, 2
Au pied la croix ils n’étaient plus que quatre, trois femmes et un apôtre.
Judas a posé son geste tragique de désespoir. Sans doute l’Iscariote voulait-il forcer Jésus à une manifestation éclatante, preuve de messianité. Il n’a pas compris qu’il n’y aurait pas d’autres signes que celui de Jonas au ventre de la baleine, trois jours et trois nuits. On ne rassemble pas le peuple de Dieu dispersé à coup de preuves ou de manifestations éclatantes. Celui qui ne veut pas croire ne croira jamais. La vérité ne s’impose pas elle se propose. L’amour ne s’achète pas il s’invite en confiance comme à une danse. Judas n’a pas compris que le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde, Jésus ayant refusé toute messianité politique.
Pierre et les neuf autres apôtres sont enfermés dans la peur, cachés au cénacle ou retournés à la pêche. Ils n’ont pas compris l’enseignement du Maître annonçant sa passion et sa résurrection. « Cela ne t’arrivera pas » avait déclaré Pierre. [1] Consternés, meurtris, en larmes, les apôtres s’affligent de leur lâcheté, de leur reniement, malgré trois années sacrifiées pour le maître, au détriment de leur confort et de leur vie familiale, de leurs projets humains autant que de leurs amitiés. « Nous qui avons tout quitté » disait Pierre un jour à Jésus « quelle récompenses ? » [2] Le prix à payer de la suite de Jésus fut rude. La chute au soir du vendredi saint encore plus. Ils ont foi en Jésus et leur foi les a conduits au néant d’une crucifixion clôturant tout espoir d’en sortir. N’y a-t-il rien de pire que de vivre sans espérance ? Le découragement n’est-il pas l’arme préféré du démon ?
« Le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous… » Is 53, 6
« Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : PAR SES BLESSURES, NOUS SOMMES GUÉRIS. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. (…) Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs. » [1]
Le prophète Isaïe, dans son quatrième chant du serviteur, insiste pas moins de six fois en quelques versets pour dire la terrible vérité que saint Paul résume en disant : « Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions justice de Dieu. » [2]
« Quel est en effet le plus grand ? ... » Lc 22, 27
Ce que nous venons d’écouter et de contempler dépasse l’entendement. La passion de Jésus de Nazareth est un scandale au sens propre du mot, une pierre d’achoppement. « Lui qui était de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, il s’est vidé de sa divinité jusqu’à prendre la position de l’esclave. » [1] Cet hymne des premiers temps de l’Église, repris par saint Paul dans sa lettre aux Philippiens, nous crie le scandale qu’est Jésus crucifié, mystère au cœur de notre foi chrétienne. La terre d’Alsace est riche de beauté. Cette terre si belle et si riche est couverte de calvaires, partout, à la croisée des routes, à la porte des maisons petites ou grandes, au cœur de chaque village. Ne sommes-nous pas trop habitués ? Remarquons nous encore ce symbole fort et puissant où le plus grand parmi nous s’est fait le plus petit. Il a été compté au rang des malfaiteurs, subissant le pire des supplices, la crucifixion. Torture d’un très grand sadisme monté pour effrayer les populations occupées. Or voici qu’en regardant Jésus crucifié, si bas qu’un homme puisse tomber, cet homme trouvera quelqu’un qui est tombé encore plus bas que lui : Jésus de Nazareth. Cette réflexion de l’abbé Huvelin, le confesseur de Charles de Foucauld, a transformé l’officier français imbu de lui-même en ce doux adorateur de Jésus hostie, apôtre des Touaregs en Algérie.

« Moi non plus, je ne te condamne pas …” Jn. 8, 11
Avouons que nos paroles et nos pensées sont souvent pleines de jugements qui ressemblent à des condamnations. Certes les difficultés et les conflits du quotidien nous obligent à juger des personnes et des situations pour prendre de bonnes décisions. Juger et discerner, c’est peser le pour et le contre, évaluer et lire entre les lignes ce qui se joue en tel acte ou tel événement. Juger c’est surtout discerner l’œuvre de l’Esprit de vérité qui donne l’intelligence et le conseil pour regarder le monde et les personnes avec le regard de Dieu, avec l’espérance de Dieu, lequel travaille dans le temps et avec le temps. Comme il faut craindre les personnes qui manquent de discernement, surtout si elles exercent de hautes responsabilités. Juger c’est encore se former et nourrir son intelligence pour élargir le champ de son investigation, autant que le champ de sa compréhension. Avec une personne cultivée, disait le curé d’Ars, on peut toujours s’entendre. Quant bien même saint Jean-Marie Vianney ne savait pas lire le latin, il était fort cultivé. À sa mort, on a retrouvé en son presbytère une bibliothèque de plus de quatre cents ouvrages annotés de sa main.
Notre malheur est de nous faire trop souvent un devoir d’absolutisme en nos jugements. Nous risquons de prendre notre jugement pour une vérité totale et définitive, oubliant la part d’intérêts ou d’amour propre, ou encore de souci de nos appartenances sociales, prêts à défendre tout cela bec et ongle. Alors tombe la condamnation, c’est-à-dire l’enfermement d’une personne ou d’une situation à l’aune d’une fin définitivement arrêtée. Une affirmation, un mot, colle à la peau de la personne pour le restant de ses jours.

« Mon fils … est revenu à la vie » Lc 15, 24
« Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et retrouvé. » [1] Paroles scandaleuses à nos cœurs de pierre et face à nos désirs de justice à outrance autant que de vengeance dans l’hypocrisie de nos propres abominations. Que peuvent bien signifier de telles festivités au regard des injustices graves commises par ce fils indigne ? Il réclama son héritage et alla le dilapider dans la débauche et les plaisirs indignes. « Vous voulez de la justice, vous aurez de la justice » répondit un jour Thérèse de l’Enfant Jésus à une sœur qui la réprimandait sur sa confiance sans borne en la miséricorde divine. Et Thérèse d’ajouter : « on reçoit de Dieu exactement ce que l’on en attend. »
Triste image de notre monde contemporain. Tel le fils prodigue nous nous saisissons de l’héritage pour dilapider les biens reçus de Dieu. La nature n’a plus le droit de dire son mot sur l’homme et la femme. L’enfant est un projet avant d’être un don de Dieu. En un désir prométhéen l’homme veut augmenter son intelligence avec quelques fantastiques artifices. La déesse raison règne plus que jamais oubliant le cœur qui offre sa confiance pour aimer sans mesure. La planète peut exploser sous la folie meurtrière des bombes, si d’aventure l’équilibre de la terreur venait à être rompu par quelques avatars dont l’homme a le secret. Nous avons quitté les rives meurtrières du nationalisme suprématiste pour nous échouer sur les larges plages du doux commerce de la diversité heureuse qui veut faire fi des identités culturelles et de la beauté des visages. Les hérésies sont des idées justes devenues folles comme les idéologies qui aboutissent à la guerre sont des idées judicieuses devenues outrancières.
[1] Lc 22, 23-24
«Le buisson était embrasé, mais le buisson ne se consumait pas.» Ex 3, 2
En chacune de nos vies, les malheurs, les catastrophes, les maladies et les épreuves ne manquent pas. Le mal, la souffrance et la mort sont au rendez-vous de l’enfant qui vient au monde. Dans une terrible page Madeleine Delbrêl, avant sa conversion, crie sa souffrance : pourquoi naître si c’est pour être de la chair à canon ?
Devant les massacres humains à la Pilate, ou les tours de Siloé qui nous tombent dessus, nos réactions les plus courantes sont dans la culpabilisation à outrance ou la recherche perverse d’un coupable, ou la révolte et la colère, ou encore le déni et la fuite en des succédanés de vie, quand bien même ceux-ci sont moralement légitimes. On se jette à corps perdu dans son travail ou dans telle passion artistique pour oublier. D’aucuns mettront Dieu au placard. Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter cela ? D’ailleurs si le Bon Dieu était aussi bon que vous le dites, il ne permettrait pas le mal. Au moins, pour ceux-là Dieu existe encore. On peut lui taper dessus. Mais il est aux abonnés absents ou remisé aux antiquités d’un autre monde.
Qu’avons-nous fait nous les chrétiens pour qu’au sein même de nos communautés nous en soyons encore trop souvent là ?

« Celui-ci est mon Fils, l’Élu, écoutez-le » Lc 9, 35
« Mes pensées ne sont pas vos pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins » avait déjà dit le prophète Isaïe. [1] Très souvent Dieu nous déroute dans la conduite de notre vie. Dieu nous éprouve par sa patience et sa façon de procéder. Les épreuves et le mal frappent notre vie. Ils nous font souvent crier vers Lui. Ils nous conduisent aussi à la révolte, à la colère, voire au reniement partiel ou total. Les apôtres n’ont pas été épargnés. Devant le scandale de la croix tous, ils Le laissèrent seul.
Dieu n’est pas un théorème de mathématique qui se prouve. La vérité qu’est Dieu n’est pas dans les livres des scientifiques, quand bien même leurs vérités ne sont que des vérités temporaires. Car qui peut sonder les profondeurs de l’univers, qui peut comprendre les inconnus de l’infini grand et de l’infiniment petit ? Notre Dieu est un dieu d’amour qui cherche à atteindre notre cœur pour le rendre au sien. Dieu est un fiancé. Il cherche sa fiancée afin de la conquérir en lui laissant le temps d’une réponse pleinement libre. En amour il n’y pas de preuves, il n’y a que des signes.
[1] Is 55, 8

« Ayant épuisé toutes les formes de tentation » Lc 4, 13
Qu’en est-il de l’existence du diable ? Une simple forme littéraire, une façon imagée de parler du mal en l’homme, de ses difficultés spirituelles ou psychologiques ? « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas. » [1] écrit le poète. L’Église enseigne que les anges « sont des créatures purement spirituelles qui ont intelligence et volonté, créatures personnelles et immortelles qui dépassent en perfection toutes les créatures visibles. » [2] L’apôtre Paul affirme que « c’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu » [3] Le credo de Nicée-Constantinople proclame « Dieu le Père tout puissant, créateur de l’univers visible et invisible. ». Certains anges, créés bons comme toute créature de l’univers, se sont révoltés contre Dieu. Lucifer, le chef des anges porteur de lumière, est devenu par son refus de servir, le Satan qui n’a de cesse désormais que de vouloir faire écran entre l’homme et Dieu. Mais Satan n’a que le pouvoir qu’on lui laisse. La victoire sur lui est acquise à jamais par l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ. Reste à entrer dans ce mystère de salut, car comme disait un jeune homme quand je ne servais que mon égoïsme j’avais toutes les filles que je voulais. Désormais que je sers le Christ, il n’en est rien et j’ai des tas d’ennuis.
[1] Charles Baudelaire. Les fleurs du mal
[2] CEC 329
[3] 1 Jn 3, 8

« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » Mt 2, 2
Quelle est donc cette étrange procession à la grotte de Bethléem ? Qui sont ces mystérieux sages venus d’Orient se prosterner devant un nouveau-né, somme toute semblable à tant de tout petits nés cette nuit parmi tant d’autres nuits ? Après les bergers, conduits par les anges, voici que la sagesse des nations vient adorer le roi des juifs. Ceux-là guidés, non par les anges, mais par une simple étoile parmi des milliards d’étoiles. Étrange et mystérieux spectacle, théâtre qui a traversé les siècles. Aujourd’hui encore nous célébrons l’événement jusqu’à faire de ces mystérieux personnages des rois au couleur de toutes les nations, et de nous demander nous-mêmes qui sera roi par la vertu d’une fève qui ne ressemble même plus à un enfant. Où donc, en cette fête, est passé l’enfant et la sagesse des nations ?

“Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?” Lc 1, 48
Qui aurait pu imaginer une telle scène ? Quel esprit génial aurait pu écrire un tel dialogue entre deux femmes enceintes que tout sépare ? Le récit de la visitation de la Vierge Marie à sa cousine Élisabeth est surprenant. Le nier c’est ne pas faire droit à l’invraisemblance qui, cependant, illumine le cœur et l’esprit dépassant l’entendement humain laissé à ses seules forces rationnelles.
L’annonciation de l’ange Gabriel à la Vierge Marie a lieu dans le secret de la maison de Nazareth. Marie en garde jalousement le secret, ne voulant pas dévoiler son mystère, au risque d’être voué à la vindicte populaire en raison d’une conception qui, humainement, paraîtrait illégitime. Toujours dans le plus grand secret, le ciel s’occupe de Joseph, le fiancé, afin de lui révéler le mystère, l’encourageant à accepter, dans la foi, de prendre chez lui « son épouse ». Marie part en hâte pour Eïn Karim, situé à plus d’une centaine de kilomètres de Nazareth. Décision solitaire, à n’en point douter, d’une jeune fille qui sut, sans aucun doute, motiver sa démarche sans rien dévoiler des vraies raisons. Encore une fois, il ne faut pas éveiller les soupçons.
« Tenir debout devant le Fils de l’homme » Lc 21, 36
Quel temps fait-il ? Dans quels temps sommes-nous ? Que pouvons-nous attendre en ce temps et de ce temps ? Questions malhabiles et hésitantes souvent, mais questions bien réelles de nos conversations. Nous savons que le temps n’est pas d’abord ou seulement une question d’heures, de semaines, de mois ou d’années. Quand nous pleurons après le temps passé, qui d’après nous devait être meilleur, ou bien quand nous nous projetons dans le temps futur dans l’espoir que tout ira mieux, nous posons la question fondamentale du sens du temps. Que vivons-nous dans le temps que mesurent nos horloges ? Quel est le sens l’histoire, de notre naissance et à notre mort ? Quel est Le sens de l’histoire des hommes selon la mesure de notre pays et de notre enracinement culturel ?
« Quiconque est de la vérité, écoute ma voix. » Jn 17, 37
Pouvait-on imaginer un dialogue plus fort et plus emblématique que celui de Pilate avec Jésus en ce faux procès où le Christ est livré, abandonné des siens ? À cette heure unique de l’histoire, le salut du monde est en jeu. La guerre et la paix se jouent précisément là, en ce drame des années 30. Deux hommes se font face : l’un a pouvoir de vie et de mort sur ses semblables. L’autre s’offre à la vie et à la mort pour décider du sort du monde entier et de l’issue de l’histoire de tout homme et de tous les hommes. Le temps et l’éternité s’affrontent en un duel tragique où se jouent la vie et la mort de chacun d’entre nous. Jésus en est le pontife suprême, le pont entre Dieu et les hommes, au point que saint Jean dépeint Jésus dans sa passion avec les habits de l’empereur romain, la couronne et le manteau de pourpre, assis entre deux assesseurs tel un empereur régnant. Dérision de la part de Pilate pour Jésus mais questionnement de fond : Qui est Dieu ? L’empereur Auguste représenté par Pilate ou Jésus, le Messie ? Qui est roi ? Le gouverneur romain avec ses légionnaires ou Jésus avec ses anges ? Qui, ici, va décider de la guerre ou de la paix entre les hommes ? Pilate ou Jésus ? …

Pourquoi la guerre ? « C’est à moi que vous l’avez fait. » Mt 25, 40
Pourquoi la guerre ? Pourquoi les leçons de l’histoire ne sont-elles jamais reçues à la hauteur des massacres engendrés ? Pourquoi la guerre puisqu’il faut toujours en finir par un compromis de paix à moins que ce soit par l’éradication complète d’un peuple ou d’une nation ?
La tragédie de 14-18 n’a point évité celle plus grande encore de 39-45. Les morts par milliers en chaque bataille, la puanteur des cadavres en décomposition, les soldats blessés qui hurlent leur souffrance, la boue et la mitraille des tranchées, les gaz dévastateurs qui ravagent l’âme à l’avance dans la peur de mourir miné de l’intérieur. Rien n’a servi à nous enseigner. Vingt ans plus tard les tueries de masse redoublent d’intensité. La science vient à la rescousse et rajoute dans l’horreur : les massacres à grande échelle, les camps d’extermination où le gaz zyklon élimine des populations entières, les tapis de bombe sur tant de pays jusqu’à Hiroshima et Nagasaki, bombes toujours plus ravageuses faisant des millions de morts, de veuves et d’orphelins, d’estropiés à vie, de gueules cassées et de vies brisées…
Pourquoi les guerres ne nous enseignent-elles pas ? Durant la guerre froide l’humanité a accumulé un arsenal nucléaire capable de faire sauter plusieurs fois la planète… Pourquoi tous les pares-feux créés après-guerre n’ont-ils pas empêchés tant de conflits ? Que deviennent les organisations internationales impuissantes face à l’actuelle recomposition explosive de la géopolitique ? Qui nous gardera d’une nouvelle éruption guerrière dont nul ne sait s’il en ressortira vivant…
Pourquoi la guerre est-elle toujours de retour ?

« Tu aimeras Dieu… et ton prochain comme toi-même » Mc 12, 29
Nous le savons fort bien. Notre devoir de chrétien c’est la charité. Aimer Dieu et son prochain, voilà toute la loi et les commandements. Nos chansons crient toutes l’amour, le besoin d’être aimé et d’aimer. Jamais sur la même musique ou les mêmes modalités mais toutes s’accordent pour dire que l’homme sans amour est un homme mort.
Quelle est donc la musique chrétienne de l’amour ?
Voici un scribe visiblement séduit par Jésus et son enseignement, par son fabuleux comportement, comme sans doute par sa réputation si pleine de bonté et de miséricorde pour les pécheurs.

« Ils ont lavé leurs robes … par le sang de l’Agneau. » Ap 7, 14
Que dire de cette fête de la Toussaint quand s’entrechoquent, dans nos esprits et dans nos rues, tout à la fois, l’annonce d’un jour férié traditionnellement lié à la fête de tous les saints, une journée dédiée à nos morts et aujourd’hui la résurgence envahissante de la fête d’Halloween ? Que dire et que penser ? Où sommes-nous ? Où en sommes-nous ?...
Chacun répondra en fonction de ses convictions mais la foi de l’Église ne se négocie pas. La foi de l’Église c’est la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, soit Jésus Christ lui-même dans ce qu’Il nous a révélé de Dieu son Père et de l’homme quant à sa destinée.

« Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes,il se chargera de leurs fautes. » Is 53, 11
Les mots du prophète ont quelque chose de scandaleux. Comment Isaïe peut-il mettre sur les lèvres de tout un peuple que La souffrance de celui-ci a quelque chose de noble, au point de valoir le salut du monde entier ? Tels sont les chants du Serviteur, qu’on lit particulièrement durant les jours de la Passion avant de célébrer Pâques.
Israël vient de vivre une terrible catastrophe. Nous sommes au début du 6° siècle avant Jésus-Christ. La disparition de son royaume, l’exil sur une lointaine terre étrangère, la fin du culte au temple de Jérusalem, le massacre de toutes les élites qui n’ont pas été déportées. Depuis des siècles le contrat d’Alliance entre Dieu, le Saint béni soit-il, et son peuple est le suivant : si tu es fidèle tu auras la vie et le bonheur. Si tu ne suis pas les voies du Seigneur ce sera le malheur et la mort. Tel est l’enseignement du deutéronome. Depuis sa naissance le peuple confesse le caractère unique de ce Dieu Unique, car ce dernier s’est fait reconnaître en ne voulant que le bonheur de son peuple. Le drame de l’Exil à Babylone oblige le peuple à faire son mea culpa pour regarder en face la longue histoire de ses infidélités.

« Il s'est abaissé…. jusqu'à la mort sur une croix. » Ph2.8
« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne tint pas comme une proie d'être en égalité avec Dieu. Mais il s'est vidé lui-même, prenant forme d'esclave, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. » Phi2,6-8 Nos premiers frères chrétiens chantait cette hymne liturgique. La prière dit notre foi. Notre foi s'exprime dans la prière. Prendre la mesure de telles paroles est une folie. Qui le peut vraiment ? Font écho à cette strophe chrétienne tant d'autres paroles de l'Écriture. « En effet, puisque le créateur et maître de tout voulait avoir une multitude de fils à conduire jusqu'à la gloire, il était normal qu'il mène à sa perfection, par la souffrance, celui qui est à l’origine du salut de tous. » He 2,10 L'oraison de cette fête, quant à elle, l'exprime avec force, disant : « Tu as voulu, Seigneur, que tous les hommes soient sauvés par la croix de ton Fils... » Comment donc connaître un tel mystère, ainsi que le demande cette oraison ? Car affirmer que la croix est le chemin de la gloire, affirmer que la souffrance volontaire mène au salut, confesser que le plus sadique et le plus horrible des supplices que l'homme n'ait jamais inventé, soit le trône de la gloire pour Dieu comme pour ses enfants les hommes, n'est-ce pas, plus qu'une gageure, une imposture ? Le Seigneur Jésus dit un jour à la vénérable Marthe Robin : « Achète les âmes par le silence et le secret de la souffrance. » Paroles divines qui nous mettent sur la route d'une véritable connaissance de ce mystère inouï de la Croix glorieuse. Deux termes qui ne sont pas contradictoires, mais paradoxaux.

Il fait entendre les sourds et parler les muets. Mc 7, 37
La guérison d’un sourd-muet en pleine terre païenne est éclatante. Non seulement le malheureux handicapé retrouve la parole, mais la foule elle-même proclame la merveille : « Il a bien fait toutes choses. Il fait entendre les sourds et parler les muets. » (Mc 7, 37) Et nous, comment réagissons-nous face à de tels miracles ? Est-ce une histoire merveilleuse pour un passé lointain qui ne nous concernerait plus ? Une histoire réservée au temps de la fondation de l’Église par Jésus ? Est-ce l’annonce de fait merveilleux réservés à un petit nombre d’handicapés, petits privilégiés du Seigneur, marqueurs d’une religion des pauvres et des petits, dont quelques rares personnes accéderaient à un bonheur échappant à la plupart d’entre nous ? Suivre de telles pensées est une fausse route.
Par de tels miracles Jésus nous annonce à tous la Bonne Nouvelle du salut.