« Comme je vous ai aimés. » Jn 13, 34

Homélie pour le 5 dimanche de Pâques (C)

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

 

Quel homme sur terre, ses dernières heures venues, se réjouit de son sort, remercie et rends grâce de ce qui lui arrive comme de ce qui va lui arriver ? À l’heure de son ennemi la mort, pleurs et lamentations, regrets et ténacité à vivre sur terre sont plutôt de mises pour le futur défunt. Le mourant a davantage la tête sur ce qui sera bientôt son passé » terrestre que sur son proche avenir céleste. Si d’aventure le mourant espère la mort, ce peut être aussi pour cesser de souffrir, mais est-ce pour entrer dans l’éternité ? Seule la foi lève le voile et ouvre un avenir.

Jésus est trahi. Judas, son apôtre choisi amoureusement dans la prière comme tous les autres apôtres, son commensal, son intime et son ami, sort de table précipitamment et décidé. L’apôtre félon a perçu l’importance de cette heure pour le Messie et de ce qui se joue en cette Pâque unique pour le salut du monde. Il veut en tirer gloire, pour lui et pour toute la compagnie apostolique, mais à sa guise, selon ses vues religieuses. Judas part vendre le maître pour un peu d’argent, croyant bien faire. Judas veut forcer le maître à se manifester ouvertement devant le sanhédrin et les dirigeants religieux. Or on ne force par l’amour. On ne contraint pas une liberté à croire. L’amour ne s’achète pas, même sous prétexte des plus hautes motivations religieuses ou politiques. Jésus voit Juda partir à la catastrophe. Jésus est dans l’incapacité amoureuse de le forcer, lui comme les autres, à croire à la puissance d’une « paix désarmée et désarmante », pour reprendre les premiers mots de notre nouveau pape Léon. En créant l’homme, Dieu a accepté la croix. Cette croix qui est vôtre à vous parents quand vos enfants vous giflent par leur choix. Vous ne pouvez regretter l’amour de les avoir mis au monde. Parents désarmés vous ne pouvez pas retirer la liberté à vos enfants.

Or voici que Jésus trahi déclare aux autres apôtres la gloire du Père. « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.  Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt. » [1] Comment Jésus peut-il voir une quelconque gloire dans le fait de subir le supplice le plus sadique qui soit, la crucifixion ? Jésus précise que là où il va, ses disciples ne peuvent venir. [2] Qu’est-ce à dire ? Jésus s’apprête en effet à descendre dans les enfers de l’humanité. Jésus prend sur lui nos refus d’aimer, tous les péchés du monde. Jésus veut descendre au plus bas de l’homme pour briser la logique infernale de la violence et de la haine engendrée par toutes nos volontés d’avoir raison contre Dieu et contre les autres, toutes nos volontés d’imposer l’amour par la force et la liberté par la guerre. Dieu seul peut faire cela. « Voici que je fais toutes choses nouvelles » dit Jésus. [3] Dieu seul peut reprendre la création en ses fondements pour la restaurer dans la liberté originelle, la liberté qui n’est pas de faire ce que l’on veut, mais de consentir par amour à ce qui nous est offert par amour. Il n’y a d’amour véritable que dans le consentement total et l’engagement total à ce qui est offert par amour. « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même. Tant qu’on n’a pas tout donné on n’a rien donné. Tant qu’on n’est pas mort on n’a pas tout donné. » [4]

« Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils Unique. » [5] Le Fils remet tout au Père de ce qu’il a reçu. Jésus offre tout de lui et de chacun de nous, don du Père à son Cœur sacré. Jésus offre sa divinité, son corps son âme ainsi que tous les péchés des hommes qu’Il assume dans cette terrible crucifixion. Par un acte d’amour parfait Jésus porte sur le bois de la croix le fardeau de notre condamnation devant Dieu afin de l’engloutir dans l’amour de son Père et le sien, amour du Père et du Fils qu’est l’Esprit Saint, feu purificateur et sanctificateur. En cette offrande sublime et suprême nous sommes rendus à notre vraie dignité de choisir Dieu et l’amour. Oui, là où va Jésus nous ne pouvons pas y aller, car Dieu seul le peut, parce que seul Il est créateur, sauveur et rédempteur. Nous ne nous sauverons pas de nos péchés, de nos errances en tout genre, de nos prisons intérieures et extérieures, si nous ne revenons pas à Jésus de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. L’homme sans Dieu de notre société moderne ne peut que faire la guerre et chercher à se réchauffer dans le plaisir sous toutes ses formes. L’homme sans Dieu est un avion sans radar, un bateau sans boussole qui cherche désespérément à sortir de ses impasses y retombant sans cesse. C’est le témoignage de la longue histoire de l’humanité.

Osons ne plus chanter de nous aimer les uns les autres, si nous oublions l’intégralité du commandement de Jésus. « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » [6] Le « comme je vous ai aimés » est capital. Sans le cœur de Jésus en nous, nous ne ferons que balbutier l’amour sinon le travestir. « Quand j’aime c’est Dieu qui aime en moi » disait la petite Thérèse. Les saints ne sont pas des personnes super géniales aux capacités extraordinaires. Ce sont des personnes ordinaires qui ont mis leur cœur dans le Cœur de Jésus, qui ont laissé le Cœur de Jésus vivre en eux par la foi, l’adoration, l’espérance et la charité. L’Eucharistie c’est tout Jésus en nous pour le pardon de nos péchés et pour aimer comme il a aimé. L’Eucharistie, disait Carlo Acutis, c’est notre autoroute pour le ciel. Le chrétien qui vit de l’eucharistie par toute l’offrande de soi et par la liberté de laisser Jésus vivre en lui, c’est lui seul, ce chrétien-là seulement, qui fait descendre le ciel sur la terre. Le saint c’est celui qui rayonne de Jésus parce qu’il a tout Jésus en lui. Le saint nous fait goûter le ciel. « Seuls les saints transforment le monde » parce qu’ils aiment comme Jésus les aime.

[1] Jn 13, 31

[2] Jn 13, 33 b

[3] Ap 21, 5

[4] Thérèse de l’Enfant Jésus

[5] Jn 3, 16

[6] Jn 13, 34 b

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