« Celui qui ne porte pas sa croix ... » Lc 14, 27
Homélie pour le 23 dimanche du temps de l’Église (C)
Frère Jean-Dominique Dubois, ofm
Ou bien… ou bien… Le Christ ne nous laisse aucune alternative. Le compromis n’est pas possible. Ou bien j’accepte de porter ma croix à la suite de Jésus et je suis son disciple, ou bien je refuse et je m’exclus de la communauté de Jésus. Ou bien je renonce à tout, ou bien je n’ai pas de part au salut… Le compromis n’est pas un mot de l’Évangile.
Les déclarations de loyauté les plus sincères ne servent à rien. La pratique religieuse la plus régulière ne fait pas le poids. Dis-moi comment tu vis les épreuves de ta vie et je te dirai si vraiment tu es, oui ou non, un disciple du Christ. La plupart du temps nous nous plaignons de nos souffrances. Nous ne faisons que subir nos épreuves. « Je n’ai pas le choix » disons nous … Subir ce n’est pas être libre. Subir ressort du fatalisme et de l’esclavage.
Nous cherchons tous à réussir dans la vie. C’est normal et sain. Mais cherchons nous à réussir notre vie ? Or cela se vérifie lorsque l’on est contraint d’affronter les difficultés, les épreuves et la souffrance sous toutes ses formes. La pierre d’achoppement de nos vies est là. Jésus est radical : « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. »
Notre Dieu serait-il devenu en Jésus un dieu sadique qui voudrait la souffrance pour nous intégrer dans sa communauté ? Dieu dit à Moïse qu’il a vu la souffrance de son peuple en Égypte. Dieu l’a envoyé libérer les hébreux de l’esclavage des pharaons. Jésus est passé en faisant le bien. Avec Lui, les morts ressuscitent, les boiteux marchent, les aveugles voient et les démons sont chassés. [1]
Le mal et la souffrance, sous toutes ses formes sont absurdes. Dieu ne les a pas créés. Jésus ne fait qu’un simple constat de réalisme. Jésus ne discute pas du pourquoi, du « à cause de quoi… », de ce que fait ou ne fait pas son Père au ciel. Les médecins qui reçoivent à l’hôpital ne se posent pas tant de questions sur les origines des blessures et fractures de leurs blessés, ils soignent en urgence.
Si Jésus est aussi radical c’est qu’il est prêt lui à payer le prix. Jésus va assumer la mal et la souffrance de toute l’humanité dans sa propre chair jusqu’à en mourir. Dieu seul peut faire cela parce qu’il est le Créateur. Dieu seul peut tirer un bien d’un mal. Dieu seul pour faire toutes choses nouvelles de la pire des situations. Croyons-nous à la paternité d’amour de Dieu, paternité qui n’est toute puissante qu’en amour. Jésus, sur la croix, le juste des justes, qui n’a commis aucun péché, « devenu un ver non pas un homme » [2], mis au rang des criminels, assumant la malédiction de la crucifixion, ce Jésus-là meurt comme un enfant qui s’endort sur le cœur de son père, en disant : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » [3]
Plutôt que de maudire Dieu du mal, plutôt que d’accuser Dieu quant aux épreuves qui me blessent, plutôt que de chercher des pourquoi et des comment, si j’osais vraiment donné ma vie au Christ ! Si j’osais vraiment mettre mon cœur dans le sien et le laisser habiter mon cœur, alors je verrais le miracle des miracles. Dieu en l’homme est vainqueur du mal et de la mort. Le Père a ressuscité le Fils. Il nous ressuscite chaque jour avec Lui si nous mettons notre cœur dans son cœur, si nous croyons à sa puissance d’amour victorieuse de tout mal. C’est cela vivre l’eucharistie et communier…
À condition encore que nous acceptions le temps de Dieu. À Lourdes la Vierge Marie rappelle à Bernadette l’Évangile de son Fils : « Je ne vous promets pas le bonheur en ce monde mais dans l’autre. » Qui peut encore se traduire par : « Je ne vous promets pas le bonheur de ce monde mais de l’autre. » Or, nous, nous faisons de notre vie sur cette terre l’horizon indépassable de notre bonheur. Voir mourir nos proches, ce n’est jamais l’heure, même à quatre-vingt-dix ans passés. Nous voulons tout, tout de suite, sans peine et sans souffrance, parce que nous confondons l’amour et le plaisir, la joie et la jouissance. Nous oublions que la vie sur cette terre n’est qu’un pèlerinage pour une éternité de bonheur. Jésus a planté sa tente parmi nous pour nous sortir du mal et de la souffrance. Il est le chemin, la vérité et la vie. [4] Ce chemin conduit à la vérité de ce que nous sommes pour Lui. Le chemin qu’est Jésus nous conduit à la vie éternelle, non pas à la jouissance perpétuelle des biens de la terre. Ne nous enfermons pas dans les dons de Dieu, y compris la famille, pour nous ouvrir au don qu’est Dieu. Les épreuves à affronter nous purifient de nos égoïsmes et nous ouvrent à la voie du vrai bonheur si et seulement si nous mettons nos pas dans le Christ pour être avec Lui vainqueur du mal par le bien et par la puissance de sa résurrection.
[1] Mt 11, 5
[2] Ps 22, 6
[3] Lc 23, 46
[4] Jn 14, 6