« … que là où je suis, eux aussi soient avec moi. » Jn 17, 24

Homélie pour le 7 dimanche de Pâques (C)

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

 Les paroles que nous venons d’entendre sont les dernières paroles de Jésus avant sa mort en croix. Ultimes paroles qui résument tout son enseignement, tel le point d’orgue de la grande symphonie musicale de son incarnation. Paroles testament d’un mourant, plus vivant que bien des morts vivants que nous sommes trop souvent. Ma vie, dit Jésus, « personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre… » [1] En ces paroles toutes contenues dans le chapitre dix-sept de saint Jean, traditionnellement appelé la prière sacerdotale, Jésus nous livre son âme, son cœur profond. Chacune de ces paroles est comme la facette unique d’un diamant multiforme. En chaque facette du diamant nous contemplons qui est Dieu pour nous en Jésus, qui nous sommes pour Dieu.

Qui sommes-nous donc pour Dieu ? Nous sommes nés de Dieu dans le sein de notre mère, car c’est Lui seul, Dieu, qui nous a donné notre âme, ce qui fait de nous un être unique. Enfants de nos parents, héritiers de tout leur patrimoine, nous sommes d’abord héritier de Dieu qui nous a offert la vie par nos parents. Né de Dieu nous sommes destinés à appartenir à Dieu pour l’éternité. Nous sommes nés immortels. La mort qui nous attend n’est que passage d’un mode de la vie temporelle à la vie éternelle. Trop souvent nous comptons nos années de vie et nous oublions la vie. La vie s’inscrit dans le temps mais le temps n’épuise pas la vie. La vie est donnée à jamais. Dieu n’est ni voleur ni traître. Il ne donne pas pour reprendre. Dieu est amour qui donne la vie pour toujours. L’enjeu de notre vie est seulement dans notre réponse à Dieu. Peu importe les chemins et les délais du temps. En vingt-quatre années Thérèse de l’Enfant Jésus a parcouru un itinéraire de géant. En quinze années de vie le jeune Carlo Acutis est devenu un maître de vie spirituelle accompli, source d’inspiration pour des générations d’adolescents. Alors qui sommes-nous ? Que sommes-nous appelés à vivre sur cette terre de turbulences, de sang et de larmes, où cependant, par toutes les beautés de la création, brille de tous ses feux l’éclat de l’amour divin ? 

Nous sommes des dons de Dieu, au cœur même de Dieu. Avons-nous bien entendu, en effet, ce que dit Jésus de nous à son Père avant de mourir ? « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. » [2] L’apôtre saint Paul nous dit dans son épître aux Éphésiens que dès avant la fondation du monde nous avons été voulu et désiré par Dieu pour être saint et immaculé en sa présence. [3] Dieu nous a voulu chacun en particulier d’une façon unique. Dieu ne fait ni des clones ni de la photocopie. Nous sommes venus à l’existence pour être aussi beau que Jésus, le Fils Unique, le Verbe de Dieu fait chair. Nous sommes nés de Dieu, offerts en cadeau au Fils et rendus en grâce comme un cadeau au Père. Ceci de toute éternité et pour l’éternité. La vie sur terre n’est que le passage de notre naissance à nous-même, comme l’embryon passe dans le sein de sa mère non pour y rester mais pour naître à la vie de ce monde. De surcroît Dieu n’a pas fait que nous lancer dans l’existence pour nous abandonner à notre triste sort ou à nos plus belles aventures. Dieu nous tient sans cesse en son amour pour nous donner la vie, le mouvement et l’être. Ce qu’une maman ne peut pas faire, Dieu le fait pour nous. Une maman ne peut pas maintenir en son existence l’enfant qu’elle a porté et mis au monde. Enceinte la maman se soigne pour soigner son enfant. L’enfant nouveau-né elle ne peut que le nourrir et le soigner pour qu’il grandisse et prenne son envol d’adulte. Dieu, lui nous tient éternellement en sa main comme la mère tient son enfant en son sein. Si Dieu ne pensait pas à nous un seul instant nous retournerions au néant. Je ne suis libre de vivre et de décider dans la vie que d’une liberté que je reçois sans cesse de Dieu, dans une existence que sans Dieu je perdrais à jamais. Dieu ne se moque pas de sa créature. Ce qu’Il donne par amour c’est pour toujours en totale et absolue gratuité. Dieu seul est amour. Même le diable reste un acte d’amour de Dieu. Le démon le sait. Cela le brûle parce qu’il le refuse.

« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, … » Ces paroles de Jésus devraient nous brûler le cœur et l’âme d’une reconnaissance éternelle. Jésus a quitté le sein du Père pour devenir l’un de nous afin de nous rendre semblable à lui. Jésus s’est vidé de sa divinité pour partager notre condition humaine jusque dans nos pires épreuves et notre mort, mais pour nous arracher à tout ce qui pourrait nous séparer définitivement de Dieu. Jésus va retourner au ciel. Jésus à l’Ascension retrouve la joie de vivre dans la plénitude de sa divinité en face à face amoureux avec le Père, mais non sans nous… Jésus nous emmène tous au ciel par son humanité glorifiée. Désormais les racines de notre humanité sont plantées dans le cœur de Dieu, dans le cœur de la Trinité Sainte. Jésus a vaincu notre péché lequel nous sépare de Dieu et des autres. Jésus a vaincu la mort qui est la conséquence ultime de nos fautes. Jésus remonte au ciel dans la joie exultante de pouvoir nous offrir au Père comme les cadeaux de son amour, les offrandes amoureuses de son Cœur de Miséricorde. Jésus dit de chacun de nous : celui que tu m’as donné, je te le redonne comme le plus cadeau de mon cœur pour ta gloire et la sienne, car ta gloire c’est la sienne.

Chrétiens prenons conscience que nous sommes tout pour Jésus, que la volonté de Dieu est, fondamentalement et uniquement, que son amour nous transfigure en toutes circonstances, à travers toutes nos relations, pour aimer comme il aime et mourir d’amour comme il est mort d’amour pour nous. Nos guerres, nos inimitiés, nos chamailleries sont les avatars de notre manque de foi en la charité infinie de Dieu à l’égard de chacun et de tous sans exception. Quel que soit ce qui défigure le visage de mon prochain, il est, comme moi et chacun de nous, don de Dieu pour Dieu.

« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, … »

[1] Jn 10, 18

[2] Jn 17, 24

[3] Eph 1, 3-4

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« … jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » Lc 24, 49