« … jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » Lc 24, 49

Homélie pour la solennité de l’Ascension

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

 Quarante jours se sont écoulés depuis la première apparition de Jésus ressuscité. Quarante jours où les apôtres ne cessèrent pas de faire des allers et retours dans leur tête comme sur le terrain. D’ici de là, entre tout ce dont ils avaient été témoins de la vie et de l’enseignement de Jésus et l’échec de la Passion, entre la contradiction des merveilles de son ministère et la terrible crucifixion, entre la tombe scellée et le tombeau vide, et désormais voici les apparitions en tout lieu hors de toutes les règles de vie de l’homme ordinaire. Jésus était bien le même mais tout autre. Il était bien le Jésus de Nazareth, fils de Joseph, avec lequel ils avaient mangé, bu, marché et peiné, sans oublier les fêtes et les repos. Ce même Jésus pouvait manger avec eux, mais n’en n’avait nul besoin. Il était toujours là mais pas toujours visible. Il était visible mais toujours d’une manière surprenante. Ses plaies demeuraient bien réelles mais laissaient désormais passer la lumière et non plus le sang versé jusqu’à la dernière goutte.

Quarante jours sont passés. Ce n’était pas de trop pour un peu réaliser l’inouï de Dieu, l’inconcevable, l’impensable dont les évangélistes ne craignent pas de nous dire qu’ils n’avaient pas compris. Quand Jésus leur avait annoncé par trois fois sa passion et sa résurrection, les apôtres nous disent n’avoir pas compris. Trois résurrections n’ont pas réussi à les faire bouger d’un pas sur le chemin de la foi en la résurrection. La fille de Jaïre chef de synagogue, le fils de la veuve de Naïm et la résurrection de Lazare, l’ami intime du maître, rien de tout cela n’avait réussi à ébranler leur cœur, pas même la Transfiguration du maître sur le Tabor. Cœurs lents à croire…

L’inconcevable est arrivé. La résurrection du Christ. Jésus est mort et enterré après la malédiction de la croix, mais il est ressuscité. Pour le réaliser Jésus sait que ses apôtres ont besoin de temps. Jésus va s’adapter à chaque personnalité et faire peu à peu bouger les lignes afin de les convaincre que c’est bien Lui, qu’il fallait bien qu’il passe par cette terrible passion pour que désormais le mal et la mort soient définitivement vaincus en sa personne. Quarante jours de catéchèse, quarante jours de retraite spirituelle sur la terre d’Israël, quarante jours pour relire trois années de ministère et pour relire chacun leur histoire de vie à la lumière de cet enseignement désormais transfiguré par la résurrection.

Une seule chose leur manque pour entrer dans le secret de l’âme du Maître. Une seule chose sans laquelle tout ne va rester que leçon apprise ou catéchisme sans âme, philosophie de sagesse destiné à se perdre en un savoir sans vie, ou expérience sans lendemain pour une connaissance sans prise sur leur vie et leur destinée. « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »  [1] Avant la passion les apôtres déclarèrent avoir tout compris. Durant la passion ce fut la grande débandade. Comment comprendre en effet que le Maître et le Seigneur, fort de tout son enseignement si lumineux et de tous ses signes si pleins de lumière et de bonté, comment comprendre et accepter que le maître passe par un abaissement si humiliant et si dégradant jusque l’enfermement dans la tombe. Nul ne peut le saisir sans l’Esprit du Seigneur. Malgré ces quarante jours débordants d’enseignement et de si riches rencontres avec le Ressuscité, les apôtres ne sont pas encore entrés dans l’âme du maître. Autant vouloir faire rentrer la mer dans un château de sable. Notre intelligence ne peut contenir un tel mystère. Seul le mystère peut nous contenir et nous envahir pour nous faire comprendre ce que l’Esprit de Dieu est seul à illuminer. Jésus le déclare par de simples paroles : « Il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » [2]

Jésus en s’effaçant définitivement à la vue de ses disciples et apôtres ne les quitte pas. Il leur a tout donné, son corps, son sang, son enseignement et ses miracles. Le tout assorti d’une promesse hors du commun : « vous ferez des choses plus grandes encore. » [3] Il n’est désormais plus nécessaire de voir le maître. Il est plus intime à eux-mêmes qu’eux-mêmes. Du moins Il va le devenir lorsqu’il leur aura donné son Esprit Saint, l’âme de son Père et la sienne, l’Esprit de vérité, l’Esprit d’Amour et de lumière du Père et du Fils. Les apôtres l’ont si bien réalisé que la disparition de Jésus à leur vue, le fait que désormais ils ne le verront plus d’ci à leur propre mort ou à son retour glorieux, cela ne les attriste pas. « Ils se prosternèrent devant lui, puis ils retournèrent à Jérusalem, en grande joie. Et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu. » [4] La joie est le signe que la mort est vaincue. La joie est le signe qu’ils sont enfin entrer dans la pensée du Maître et ne font déjà plus qu’un avec Lui. La joie que nul ne peut leur ravir c’est celle promise par Jésus pour être toujours avec ses apôtres et eux avec Lui. L’Esprit va être comme le sceau d’une lettre royale dans leur cœur. L’Esprit leur fera tout comprendre de la pensée et de la volonté de leur Seigneur.

Notre vie vaudra ce que vaudra notre prière. Notre vie vaudra ce que vaudra notre persévérance dans la prière pour demander l’Esprit Saint. L’Église n’est pas l’œuvre des hommes, elle n’est ni une démocratie, ni une royauté. L’Église c’est Jésus Christ lui-même qui se donne à travers chaque baptisé. L’Église n’est qu’un bonne ONG ou n’est qu’une belle association humanitaire si elle n’est pas animée par l’Esprit du Christ dans la fidélité à l’Évangile. Parole du Christ c’est parole d’Église et parole d’Église c’est parole du Christ. Seul l’Esprit Saint en est la garant dans la fidélité à la Tradition des apôtres. À l’exemple de Marie qui « gardait fidèlement tous ses événements dans son cœur » [5] demeurons dans la fidélité à l’Évangile par une prière du cœur, une prière assidue, constante, persévérante et ininterrompue. Alors il y aura une pentecôte sur nos vies, une pentecôte sur le monde.

[1] Ac 1, 8

[2] Lc 24, 49

[3] Jn 14, 12

[4] Lc 24, 52-53

[5] Lc 2, 19

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