« Si quelqu’un m’aime… » Jn 14, 23

Homélie pour le 6° dimanche de Pâques (C)

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

Notre vie chrétienne, comme notre vie sociale, est pleine de coutumes, d’habitudes, de rites et de traditions. Sans cela nous ne pourrions pas vivre. Il suffit qu’une époque laisse tomber des coutumes pour qu’on en invente d’autres. Coutumes et habitudes deviennent traditions. En leur nom rien ne doit changer. Naturellement, puisqu’elles disent le sens de la vie de la communauté. Toucher aux traditions d’une religion c’est toucher à ce qui relient les personnes à leur dieu, à leur semblable et à leur mode de vie. Les petits enfants sont redoutables. Avec leur regard neuf ils ennuient les adultes pour leur demander sans cesse : mais pourquoi fait-on cela, ou comme cela ? Bien embarrassés ceux-ci répondent souvent : « on a toujours fait comme cela ». Oui, mais pourquoi ? Et surtout en vue de quoi ? L’enfant attend une réponse. Sans quoi il ira en chercher une ailleurs.

Nos premiers frères chrétiens venaient tous du judaïsme. La tradition rituelle de la circoncision était un marqueur identitaire. La vie vient de Dieu et appartient à Dieu. C’est Dieu qui donne la vie et nous soutient dans la vie pour nous conduire à la vie en plénitude. La marque charnelle de la circoncision dit la foi de l’israélite à l’intime de son corps, car en judaïsme on ne sépare jamais l’âme et le corps, l’éros de l’agapè.

Alors fallait-il imposer aux chrétiens venus du monde grec la fameuse circoncision. Le premier concile de Jérusalem va répondre non. Car une tradition n’est pas la Tradition. Une tradition si belle et bonne soit-elle, riche d’un sens plein de vitalité, ne doit pas se confondre avec la foi en sa grande Tradition avec un grand T. Tout le monde sait en Israël que le commandement suprême est d’aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même. Tout le monde sait en Israël que le chemin pour y parvenir est de lire abondamment la Torah, les Écritures divines transmises par les patriarches et les prophètes. Lire la Torah est un devoir sacré car elle seule structure le cœur et la pensée du croyant dans le souffle de Dieu offrant à tout un chacun de vivre et de donner la vie dans la vérité et la charité.

Et nous frères et sœurs chrétiens ? À quelles traditions sommes-nous attachés ? Comment pratiquons nous notre religion ? Par habitude selon des rites pleins de sens et d’énergie ? Mais où est notre cœur quand nous pratiquons ? Prenons nous le chemin de Jésus, celui de tout croyant en Israël. Car Dieu n’a pas changé depuis le temps d’Abraham pour montrer à l’homme le chemin de la vie. « Écoute Israël, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme… » Première prière juive du matin de chaque jour. Jésus nous l’enseigne encore avant de mourir pour nous : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. » [1] Réalisons-nous la force de cette parole de Jésus. Le chrétien est une personne habitée par Jésus, tout habillée de Jésus, animée de son Esprit Saint dont le visage reflète celui du Père et du Fils. Chacun de nous est la demeure de Dieu. Cela devrait se voir et mettre le feu au monde qui nous entoure ! … Nous ne pouvons être ce que nous sommes qu’habités par la parole de Dieu. On raconte en judaïsme qu’un vrai et bon croyant est comme une éponge imbibée d’eau. Vous la pressez, l’eau sort. Le croyant habité de la Torah, vous le pressez, la parole de Dieu jaillie comme l’eau de l’éponge.

Que connaissons nous de la parole de Dieu ? Un de mes anciens professeurs de théologie, devenu évêque, a commencé son ministère de successeur des apôtres, en rencontrant tous ses diocésains dans leurs paroisses, associations et mouvements. Chaque réunion commençait, après les salutations d’usage, en ouvrant la Bible. Et l’évêque de poser à la cantonade des questions sur les livres ouverts au petit bonheur. Les réponses étaient pauvres voire inexistantes. L’évêque les encourageait tous à poursuivre leurs belles activités chrétiennes, que ce soit en liturgie, en solidarité et en service, mais il rappelait le devoir impérieux que tout devait être éclairé par une connaissance amoureuse des Écritures Saintes. Radio Notre Dame a mené en son temps dans les rues de Paris une opération un peu ludique mais hautement significative. L’émission s’appelait le « Qui c’est quoi ça ? » Et le journaliste d’interroger, lui aussi à la cantonade, le passant, lui posant diverses questions sur la religion chrétienne, du style « qu’est-ce que la Pentecôte, ou qu’est la messe pour vous ? … » Les réponses avaient souvent de quoi faire rire, s’il n’eut pas fallu se lamenter de ce que constatait un historien chrétien contemporain : « La France est le pays le plus bas de toute l’Europe sur le plan connaissance religieuse. » Que Dieu bénisse nos frères de la rue qui ne sont pas chrétiens ou qui ne le sont plus. Mais nous qui pratiquons notre foi régulièrement, ouvrons nos bibles. Nourrissons-nous de la Parole. Je vous mets au défi durant ce temps de Pâques de lire intégralement les Actes des apôtres et de regarder ce qui est au cœur du cœur du ministère des apôtres. Réponse : la parole de Dieu. On peut tout perdre dans l’Église, de nos bâtiments de cultes et de nos traditions. Si nous tenons à la Parole, elle nous tiendra [2] et tout peut renaître. Car dit la lettre aux hébreux : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. Aussi n'y a-t-il pas de créature qui reste invisible devant elle, mais tout est nu et découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte. » [3] La nature a horreur du vide. Si la Parole de Dieu n’est pas notre âme nous mettrons notre âme dans ce qui n’est pas la parole de Dieu, sans même nous en rendre compte, et la vie éternelle ne passera pas dans nos veines jusqu’à l’intime de nos vies. À quoi sert la circoncision du corps si le cœur n’est pas circoncis par la parole, tel fut le propos du premier concile de Jérusalem.

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. »

[1] Jn 14, 23

[2] Saint Bernard de Clairvaux

[3] He 4, 12-13

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