« Le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous… » Is 53, 6

Homélie pour le vendredi saint

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

 « Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : PAR SES BLESSURES, NOUS SOMMES GUÉRIS. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. (…) Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs. » [1]

Le prophète Isaïe, dans son quatrième chant du serviteur, insiste pas moins de six fois en quelques versets pour dire la terrible vérité que saint Paul résume en disant : « Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions justice de Dieu. » [2]

Nul d’entre nous ne peut prendre sur lui la maladie ou la souffrance de ceux qu’il aime. Dieu seul peut prendre sur lui le mal et le transformer en bien, parce qu’il est Dieu, parce qu’Il est notre Créateur, notre unique Rédempteur et Sauveur. Nous les hommes, nous pouvons soigner, consoler, apaiser et secourir, nous ne pouvons ni guérir les autres, ni les ressusciter, encore moins sauver notre prochain du plus terrible des naufrages, le péché de désobéissance qui engendre toutes les guerres jusqu’à la mort elle-même. Les meilleurs politiques, les plus belles institutions ou structures, si nécessaires soient-elles, ne peuvent guérir le cœur des hommes. « Mon royaume n’est pas de ce monde » dit Jésus. [3]

Pilate l’a très bien compris. Aussi cherche-t-il à se dégager du piège politique des chefs des juifs qui font d’une jalousie religieuse un motif politique de condamnation. Judas l’a bien compris qui veut forcer Jésus à se situer sur un plan politique pour manifester sa messianité religieuse. Pierre et les autres apôtres l’ont bien compris également. Ils ne sont pas prêts à mourir avec le maître pour la plus haute motivation religieuse, pourtant professée par Pierre à Césarée Maritime : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » [4] Les foules veules préfèrent leur sécurité politique ou religieuse plutôt que de réclamer un procès juste. Le bon peuple, quant à lui, ne se trompe pas sur Jésus. Il ne veut point sa mort. Il est dépassé par les événements. Il n’a plus que ses larmes qui refuse le sort funeste du juste dont il connait l’authenticité.

Jésus porte en Lui, au plus intime de son cœur, le péché et tous les péchés. Les péchés se sont toutes nos désobéissances, des plus intimes aux plus manifestes, désobéissances à la loi suprême de l’amour à laquelle nous nous devons tous. Parce que, créés par Dieu, cocréateurs avec le Créateur nous devons bâtir le royaume de justice et de paix par la seule voie de l’obéissance à la loi de la nature autant qu’à la Loi d’Amour révélé à tous les patriarches et prophètes. Jésus prend sur Lui toutes les désobéissances de l’histoire des hommes pour être broyé au plus intime de son âme, lui le tout obéissant qu’il est en tant que Fils du Père éternel. « La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » [5] Jésus est broyé comme un Gethsémani, une de ces pierres creuses dans lesquelles une autre pierre écrase les olives pour en presser l’huile. « Tout Fils qu’Il était, il apprit, de ce qu’Il souffrit, l’obéissance. » [6] Or, « c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé » nous dit le prophète Isaïe.

« Sur la croix Dieu contre Dieu prend le parti de l’homme » affirma un père de l’Église. Sur le croix Dieu le Fils tellement homme et tellement assimilé à tous les péchés des hommes a accepté de descendre dans nos enfers, l’enfer de toutes nos désobéissances, pour être solidaires, non de notre péché, mais de notre humanité pécheresse. En cette heure de Jésus, le péché n’ayant pas de part avec Dieu, Dieu le Père ne peut plus accueillir le Fils. Jésus crie « Mon Dieu mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » [7] Tel est le cri qui proclame que Dieu est amour, car c’est le cri du plus démuni, du plus solidaire de l’homme, le cri de Jésus chargé de nos maladies, de mes péchés et de toutes nos morts. Le cri qui proclame le tragique de notre humanité, le péché de désobéissance qui conduit à la mort, la mort séparation d’avec Dieu. Le cri qui dit ce que Dieu paye pour libérer notre liberté…

Le cœur du Fils bien-aimé du Père n’en reste pas là. Sa passion d’amour pour son Père et pour nous lui font crier plus fort que l’abandon : « Entre tes mains Père je remets mon Esprit. » [8] Cette obéissance suprême et infinie à l’amour, au cœur même du pire des enfers qui broie son cœur, cette parole filiale d’abandon à l’Amour de la part de l’Amour relève et sauve des péchés. Le Christ a porté tous nos péchés de désobéissance pour les engloutir et les détruire dans son obéissance infinie d’amour.

Puis avant de mourir, de passer de ce monde au Père, Jésus nous livre en testament le trésor de son cœur, la Mère, sa Mère et la nôtre : « Voici ta Mère » [9] La Vierge Marie est après Lui et en Lui, depuis toujours, la toute obéissante qui ne reprend jamais son Fiat : « Qu’il me soit fait selon ta Parole. » [10] Alors, après nous avoir donné sa mère pour notre mère sur la voie de l’obéissance d’amour Jésus crie son dernier cri d’amour, tel un enfant qui nait du sein de sa mère, tel l’enfant qui veut naître du sein des enfers pour nous conduire au ciel : « J’ai soif. » [11] Jésus n’a qu’une seule soif au-delà de la terrible soif qui épuise son corps. Jésus a soif de notre foi, il a soif de notre oui, il a soif de notre cœur pour que nos cœurs ne fassent plus qu’un avec le sien. Jésus a soif de nous donner d’aimer enfin dans la vérité, tels des enfants avec leur père. Comprendrons nous un peu plus en ces jours saints que « le châtiment qui nous vaut la paix a reposé sur Lui, et que dans ses blessures nous trouvons la guérison » [12] de nos âmes pécheresses, mais toujours dignes de Dieu ? …


[1] Is 53, 2-12

[2] 2 Cor 5, 21

[3] Jn 18, 36

[4] Mt 16, 16

[5] Jn 18, 11

[6] He 5, 8

[7] Mt 27, 46

[8] Lc 23, 46

[9] Jn 19, 27

[10] Lc 1, 38

[11] Jn 19, 28

[12] Is 53, 5

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