« .. il n’était pas possible qu’il fût retenu en son pouvoir. » Ac 2, 14

Homélie pour le lundi saint

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

« Jésus le Nazoréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous, ainsi que vous le savez vous-mêmes, cet homme, qui avait été livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité le délivrant des affres de l’Hadès. Aussi bien n’était-il pas possible qu’il fut retenu en son pouvoir… Dieu l’a ressuscité ce Jésus, nous en sommes tous témoins » [1]

Quarante jours sont passés depuis les événements. Pierre et les onze apôtres ont rencontrés Jésus le ressuscité de nombreuses fois. Il s’agissait bien Jésus de Nazareth, leur maître avec lequel ils avaient vécu et peiné depuis les bords du Jourdain, qu’ils avaient vu crucifié et mort. Ils ont été pardonnés de leurs lâchetés et de leurs reniements. Ils ont reçu l’Esprit de Pentecôte, cet Esprit divin qui habitait Jésus durant tout son ministère en Galilée et en Judée. Ces hommes ne sont plus les mêmes. Ils sont passés par la mort avec le Christ. Ils sont ressuscités avec Lui. Morts à leurs fausses questions, morts à leurs incompréhensions face à la faiblesse et à l’humilité du maître se laissant conduire à la croix, morts à leurs prétentions de carrière ecclésiastique, morts à tous leurs péchés. Ils sont bien toujours les mêmes, avec leur tempérament et leur personnalité propre, mais désormais tout au service du maître. Jean et Jacques ont ravalé leur esprit de fils du tonnerre pour mettre leur énergie à annoncer l’Évangile dans la douceur et l’humilité du maître. Pierre a quitté ses débordements de tempérament pour garder son esprit de leader et conduire l’Église dans l’assurance de la foi en la résurrection. Thomas a suffisamment douté pour comprendre tous ceux qui hésitent sur le chemin de la foi. Il sera grand apôtre au pays du refus de la souffrance… Jacques le mineur donnera sa vie le premier au pays de l’immortalité des pharaons… La peur les a quittés. Le mystère de la croix les a illuminés. La résurrection des morts et la conviction de la vie éternelle animent à jamais leur esprit et leur cœur. Leur parole de feu commence à mettre le feu dans l’empire romain d’un incendie que rien n’arrêtera. Mais qu’il est long le chemin de la foi en la résurrection …

Voyons comment chacun de nous réagit trop souvent à chaque fois que nous devons célébrer les obsèques d’un proche. Ce n’est jamais le temps de mourir. Il y a toujours à redire quel que soit l’âge du défunt. Il aurait pu vivre encore quelques années ou bien il est parti trop tôt. Que la mort soit douce, venant prendre l’être cher dans son sommeil le plus juste, ou que la mort soit brutale, par la soudaineté ou le tragique des circonstances, ce n’est jamais ce que nous souhaitions, et nous cherchons encore à connaitre les causes supposées d’une telle mort. Qu’a-t-il fait pour mériter cela ? Ou bien qu’ai-je fait pour mériter qu’il ou elle me soit enlevé(e).

On raconte dans le désert des premiers ermites chrétiens cette histoire étonnante. Un ancien vient de mourir quand soudain le mort ouvre les yeux et se met à éclater de rire plusieurs fois. Ses frères médusés l’interpellent : « Père, dites-nous pourquoi vous riez tandis que nous pleurons ? Il répondit : la première fois j’ai ri parce que vous avez peur de la mort. La seconde fois, parce que vous n’êtes pas prêts à mourir. Et la troisième fois parce que je quitte mon labeur pour aller vers mon repos. Et, ayant prononcé ses paroles, l’ancien ferma les yeux et mourut. » [2]

Nous vivons notre vie comme si nous devions rester sur cette terre à jamais. Nous vivons notre vie comme les propriétaires des lieux, sans suffisamment penser que nous ne sommes que des pèlerins et des étrangers en ce monde. Nous vivons notre vie comme si nous étions maître du temps, le temps de notre propre histoire ou le temps de l’histoire du monde. Quand bien même nous savons que ce n’est pas vrai, les cimetières faisant foi, nous vivons à regret ce qui nous échappe ou bien nous nous replions dans les larmes et la tristesse d’un passé perdu ou d’un avenir jamais advenu…

Les apôtres n’eurent pas eu trop de quarante jours pour ouvrir leurs mains et leurs cœurs à la bonne nouvelle de la résurrection, quittant leurs peurs, leurs questions mal posées, leurs enfermements de petits propriétaires rabougris des dons de Dieu. Nous n’avons rien apporté en arrivant en ce monde. Nous avons tout reçu de Dieu par nos parents et par tous ceux qui nous ont aimés. Cessons de vivre comme des morts vivants, jamais contents, pour être des vivants qui s’apprêtent à mourir pour une vie en plénitude. Saint Pierre le premier pape, dans « sa première bénédiction urbi et orbi à Jérusalem », nous annonce la Bonne Nouvelle en quelques mots très forts. Il nous crie qu’il n’était pas possible que l’enfer et la mort retiennent Jésus en son pouvoir. Notre Dieu est le Dieu de la vie. « Je suis venu pour qu’ils aient la vie et la vie en abondance. » [3] nous dit Jésus. La durée d’une vie, courte ou longue, les circonstances d’une mort, douces ou tragiques, ne sont pas sans importance ni sans incidence sur nos vies. Mais ce n’est pas le dernier mot de Jésus ni le dernier mot de la vie véritable en notre histoire.

 Carlo Acutis sera canonisé dimanche prochain. Ce jeune italien, mort en août 2006, n’a vécu que quinze ans. Jeune adolescent il a abordé sa mort inéluctable et inattendue d’une leucémie foudroyante, qui l’emportera en moins de quinze jours, comme une dernière purification pour se présenter dès son dernier souffle à la tendresse de Dieu. Sans jamais se plaindre il supporta ses lourds traitements, préférant vivre tout de suite son purgatoire, pour aller bien vite au ciel, comme il le dira à sa chère maman. Durant toute sa courte vie Carlo a fait de chaque eucharistie et de l’adoration de Jésus-hostie son « autoroute pour le ciel » selon ses propres mots. Carlo avait compris la prédication de Pierre. « Être toujours uni à Jésus tel est le but de ma vie. »  dira-t-il en forme de devise.

Jésus le vivant, le Ressuscité, tient chacune de nos vies en son cœur. Le croyons-nous vraiment quand l’épreuve ou la mort nous surprend. Pour qui, pour quoi vivons-nous ? Nous sommes nés pour mourir en union à Jésus et pour vivre éternellement de lui. Christ est ressuscité ! Oui, Il est vraiment ressuscité ! Toutes nos morts sont mortes dans sa mort, déjà nous sommes ressuscités pour la Vie véritable et éternelle.

[1] Ac 2, 22-24

[2] Thomas Merton. La sagesse du désert. LXXI. p 76

[3] Jn 10, 10

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« Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. » Ap 1, 18

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« …et nous ne savons pas où on l’a déposé » Jn 20, 2