« Dieu a tellement aimé le monde… » Jn 3, 16
Homélie pour le dimanche 14 septembre, fête de la Croix Glorieuse
Frère Jean-Dominique Dubois, ofm
« Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » [1] Qui dira ce mystère ? Qui peut parler avec justesse de ce qui dépasse l’entendement ? La reine Hélène, la mère de l’empereur Constantin, nous conduit aujourd’hui en pèlerinage à Jérusalem et nous invite à l’adoration, au silence amoureux plein de reconnaissance devant l’abaissement du Fils de Dieu, Jésus mort en croix, ressuscité en Gloire.
Jamais aucune religion n’a pu imaginer que le Dieu suprême, le Créateur de l’Univers, puisse aller jusqu’à se donner Lui-même, en tout lui-même. Que Dieu protège les hommes, ses créatures, que Dieu obtienne toutes sortes de biens pour le salut des hommes, que Dieu dirige le monde et les guerres des hommes pour les mener à la victoire, tout cela est facilement concevable. Toutes les religions en parlent. Mais que Dieu devienne un homme pour se livrer, homme parmi les hommes, et faire que l’homme devienne semblable à Dieu, par communion des deux natures humaine et divine, cela dépasse l’imagination. Les meilleurs théologiens restent là, « bouche bée comme des carpes. » [2]
La Croix glorieuse, ce mystère est célébré solennellement par l’Église durant la semaine sainte, à Pâques. Aujourd’hui l’Église le commémore en souvenir de la découverte de la vraie croix du Christ par la reine Hélène, mère de l’empereur romain Constantin. Nous sommes en 327 après Jésus Christ. De Jérusalem tel que Jésus l’a connu il ne reste quasiment rien. Après les révoltes juives de 67-70, puis celle de Bar Kokhba en 132, la ville sainte a été totalement détruite, presque intégralement rasée. L’empereur Hadrien fait construire sur ces ruines de l’ancienne capitale de Palestine une ville entièrement romaine : Aelia Capitolana. Le dieu capitolien Jupiter vient supplanter le Dieu d’Abraham, le Dieu de Jésus. Les chrétiens, eux, n’oublient pas les lieux où Jésus a vécu et souffert, malgré leur disparition physique. La tradition orale perdure, plus fidèle que la tradition écrite. C’est au point que sur l’emplacement du Golgotha et du tombeau de Jésus, à peine séparé l’un de l’autre de quelques 35 mètres, pour éviter la dévotion des fidèles chrétiens, Rome fait construire un temple à Vénus. Deux siècles plus tard, la reine Hélène, munie de pouvoirs impériaux, est désireuse de vénérer les lieux et les restes de la passion de Jésus. Après quelques enquêtes minutieuses auprès de la population locale, vers 326, la vraie croix de Jésus est exhumée de terre. Elle avait été abandonnée avec beaucoup d’autres, car les juifs en effet refusaient de manipuler ce qui fut des instruments de malédiction, donc ne pouvaient que les laisser sur place à la destruction du temps.
Cette ferveur de sainte Hélène, cette passion des premiers chrétiens pour les restes physiques des traces de la vie et de la mort de Jésus, manifestent la foi en la vie indestructible du Seigneur et Maître. Cette vénération est aussi le signe que notre Dieu ne nous a pas sauvé d’en haut, mais d’en bas. Il s’est fait vraiment homme jusqu’à souffrir, sur notre terre charnelle, une terrible passion crucifixion, prenant sur lui nos fautes afin de nous offrir la résurrection, la vie éternelle. La croix de Jésus est si hautement glorieuse, comment ne pas vouloir en garder la trace ?
À la suite de cette découverte, sainte Hélène fit érigée la basilique de l’Anastasis, de la Résurrection, autrement appelée la basilique du saint Sépulcre, sur l’emplacement même de la plus grande preuve d’amour d’un Dieu qui se donne en lui-même en son Fils Jésus. Depuis ce jour l’Église fête la Croix Glorieuse, pur écho de la célébration de la semaine sainte.
Il nous fait faire silence, et adorer, devant ce grand mystère. Quel mot peut exprimer un si grand amour ? Quel discours peut décrire une si déchirante et amoureuse passion de Dieu pour l’homme ? Nous ne rêvons que de gloire et de toute puissance, voici le Fils de Dieu qui se fait le plus petit de tous parmi nous et s’abaisse jusqu’à mourir cloué sur une croix. La Toute-puissance dans la toute-impuissance, la Vie éternelle dans la mort des hommes, l’Amour infini traversant la haine infinie de ce qui est petit et humble. La course au pouvoir, qui a rarement lieu sans l’écrasement des petits, est vaincue ici par la course de Dieu lui-même à l’impuissance totale afin de manifester la toute-puissance de l’amour. Sainte Hélène avait tout pouvoir par sa position impériale. Elle s’en est servie pour chercher ardemment les signes mortels de l’impuissance divine, source de vie éternelle. Saurons-nous adorer et nous laisser prendre par la vie qui seule vaut la peine de mourir ?
[1] Jn 3, 16
[2] Hymne acathiste