« Avez-vous du poisson à manger ? » Jn 21, 5

Homélie pour le 3° dimanche de Pâques (C)

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

Comme il en fallut du temps à l’apôtre Pierre pour enfin déclarer sa véritable et profonde amitié à Jésus. Son reniement pèse lourd à son cœur. Comme aux autres apôtres. Le Maître est enterré après une crucifixion horrible, signe de malédiction. Les disciples l’ont bien vu ressuscité à plusieurs reprises. Mais ils ne croient toujours pas au point de pouvoir reprendre la mission de l’Évangile. Tous ils sont revenus à leur métier de pécheur du lac de Tibériade. Certes ils ne sont plus les mêmes, travaillés au cœur par toutes les merveilles vues et entendues. Mais la terrible réalité s’impose à eux. La foi et l’amour de leur cœur pour Jésus ne brûle donc pas au point de dépasser la pratique commune et d’abandonner le minimum de sécurité qui s’impose pour vivre. Ils retournent à la pêche pour assurer leur subsistance, eux pourtant à qui jamais rien n’a manqué quand ils étaient avec Jésus. Mais voilà ! Jésus n’est plus là, du moins plus de la même manière. Quelles assurances peuvent-il avoir. Comment voir l’endroit de l’envers ? Comment prêcher un Messie crucifié, honni des grands prêtres, vénéré par le peuple, mais enterré aux enfers pour motif de blasphème et de sédition politique ? Manger est redevenu leur principale préoccupation. Telles sont nos sociétés modernes et leurs préoccupations quotidiennes. L’homme moderne est réduit à l’homo economicus, dénué de vie spirituelle et émotive, appauvri au rang des indices de la bourse mondiale et des cours du marché, dans l’espoir que le CAC 40 ne s’effondre pas et que la dette pharamineuse ne suscite pas une guerre mondiale. Nous courons toujours après notre bien-être matériel, laissant Jésus sur la rivage, lui qui pourtant ne cesse de nous appeler.

Le Christ en effet ne peut pas abandonner les siens sur la mer de leurs préoccupations, mer qui pourrait bien les engloutir à la prochaine tempête. Jésus ressuscité, fidèle à son cœur et à sa pédagogie, rejoint une nouvelle fois ses enfants. Il les interpelle aux bords du lac de Tibériade comme aux bon vieux temps des premiers commencements. Jésus touche ses apôtres en leur préoccupation première et fondamentale. Humblement Il demande : « Avez-vous du poisson à manger ? » [1] C’est précisément l’objet de leur quête de bon artisan pêcheur qu’ils sont. Mais c’est justement ce qu’ils n’ont pas réussi à mener à bien. Ils sont bredouilles. Pêcheur de métier, c’est la honte. Jésus vient-il en rajouter. Non, Il les aime trop. Leur offrant un bonne direction à prendre, comme si Jésus était à son tour l’un des meilleurs dans le métier, c’est la pêche miraculeuse !

Jean, le bien-aimé, reconnait le premier le Seigneur. Pierre, le fougueux, se jette à l’eau pour vite rejoindre le maître. Étonnante histoire car, pour ce qui est du repas, il ne semble pas que ce soit de la pêche miraculeuse qu’ils tirent la nourriture du jour. La table est déjà prête sur le rivage. Quel maître extraordinaire ! Il vous rejoint dans votre nécessité la plus basique. Il vous demande d’y pourvoir par vous-même, mais c’est lui qui vous donne le buffet si nécessaire. Façon de nous dire : les amis, vous vous préoccupez de bien des choses absolument vitales. Vous avez raison, mais vous n’avez pas les bonnes priorités. Comment peuvent-ils encore se méprendre sur les vraies nécessités ? Jésus a abondamment prêché en signes et en paroles. Souvenons-nous !  Les moineaux que le Père nourrit, les lys des champs habillés par le roi des cieux, la multiplication des pains, les multiples guérisons et délivrances, … jusqu’à son propre retour à la vie après une mort tragique et le séjour au tombeau…

C’est alors que tombe la question des questions, la priorité des priorités. « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » [2] On peut imaginer sans peine qu’à ces mots le ciel tombe sur la tête de Pierre. Lui le renégat, l’homme au grand cœur et aux grandes déclarations, lui qui fut appelé Pierre par le maître après avoir été appelé Simon, lui sur qui l’Église devrait être bâtie et contre laquelle l’enfer ne devrait pas prévaloir, pauvre Pierre qui s’est effrité comme du sable durant le procès de Jésus : « Je ne connais pas cet homme. » [3] Voici que Jésus répète ici sa question par trois fois : « Simon, m’aimes-tu ? » Mouillé de honte et pourtant réveillé au plus intime de son cœur, Simon ânnone sa réponse du plus intime de cet amour qu’il porte à son Seigneur, amour né au premier jour d’une première pêche miraculeuse, alors même qu’il transpirait pour vouloir nourrir les siens. Pierre répond : « Seigneur tu sais que je t’aime ? » [4] Oui, mais Pierre ne répond pas à la vraie question de Jésus. Car Jésus lui demande s’il a pour Lui un amour d’agapè, un amour de passion amoureuse au point de vouloir mourir pour son Seigneur et Maître. Pierre confesse qu’il n’en est pas là et qu’il ne peut pas en être là. Il a la mémoire cuisante de la confession de Césarée où il s’est fait traiter de Satan et son effondrement à l’heure du Golgotha. Il a bien une affection profonde et une véritable amitié pour Jésus, mais il n’est pas prêt à mourir d’amour pour Lui. Enfin, on y est. Enfin on est dans le dur du réel de l’âme du premier pape. Simon le baroudeur aux proclamations tonitruantes, Simon le pécheur de Galilée au tempérament taillé à la serpe, devient Pierre le tout aimant et le tout abandonné à son humble condition d’homme pécheur, incapable d’aimer d’un amour divin, mais brave comme un bon pain, prêt à servir pour donner au moins un bon poisson à sa famille et à ses proches. Face à cette vraie confession de son cœur de disciple, confession de son véritable état d’âme, tel qu’il est et non tel qu’il se déclarait être, voilà que Jésus lui donne ce qu’Il lui demande : « Pais mes brebis … »  et saches qu’un jour « un autre te mettra la ceinture pour aller là où tu ne voudrais pas aller. » [5] C’est-à-dire : reçois tout l’amour qui est nécessaire pour être un bon pasteur selon mon cœur, avec mon cœur et dans mon cœur. Certes cela te mènera au martyre comme il en fut pour ton Seigneur. Mais sois certain que celui qui mange à cette table, à la table de mon corps et de mon sang, celui-là ne meure jamais.

 Voulons-nous mourir d’amour pour Jésus ? Voulons-nous être martyr de l’amour comme Thérèse de l’Enfant Jésus et tous les saints que nous aimons ? Croyons-nous que Jésus nous donne ce qu’Il nous demande ? Sommes-nous prêts à confesser ce que nous sommes en vérité et non en déclaration avantageuse pour une gloire terrestre ? Croyons-nous que Jésus ne nous choisît pas parce que nous sommes géniaux ou des sortes de supermans, mais pour faire de nous des enfants de lumière, aptes à faire de grandes choses, parce que c’est son cœur en nous qui opérera toutes choses. Le saint n’est pas un être surdoué, le saint est doué parce que c’est un enfant qui se sait pauvre mais tout habité par l’amour du Cœur de Jésus.

[1] Jn 21, 5

[2] Jn 21, 15

[3] Mc 14, 71

[4] Jn 21, 15

[5] Jn 21, 18

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