« Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix… » He 12, 2

Homélie pour le 20° dimanche du Temps de l’Église (C)

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm 

Le propre du feu est d’abord de faire sortir du bois toutes les impuretés, particulièrement l’eau dont il est chargé. Nous aimons le feu, la lumière et la chaleur qu’il produit mais que d’efforts il a fallu pour fabriquer le bois et le bûcher. 

« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » [1] Le baptême de Jésus sera un baptême par le feu d’une cruelle passion. Nous rêvons notre vie comme celle d’un Thabor sans fin dans la lumière de la Transfiguration, quand Jésus nous parle du chemin de croix qui y mène. À ses disciples qui rêvent d’avoir les premières places au Royaume des cieux Jésus présente la coupe à laquelle il va boire, la coupe de l’amertume d’une passion dévastatrice. Quand Jésus vient à parler ouvertement de sa passion, Pierre lui fait de vifs reproches prétextant que cela ne lui arrivera jamais. Il se fait traiter de Satan par Jésus. À ses contemporains qui rêvent d’être libérés de leurs ennemis babyloniens assiégeant la ville sainte de Jérusalem, le prophète Jérémie prêche de se rendre à l’ennemi et d’accepter de partir en exil, sans quoi de plus grand malheur adviendront. Nous rêvons de paix et de justice. Nous voulons l’harmonie et la concorde entre nous. Or bien souvent nous n’avons que disputes et discordes. Après 1945 nous avons pensé la fin de l’histoire et des guerres, ignorant la guerre froide qui se déroulait à l’insu du commun des citoyens, armant les deux partis d’un arsenal nucléaire capable de détruire plusieurs fois la planète. Le réveil aujourd’hui est brutal...

Nous passons notre temps à faire du déni du réel afin d’assouvir notre besoin naturel de sécurité et de jouissance dans la cercle restreint de nos intérêts particuliers. Nous abandonnons à nos politiques de trouver l’équilibre sans lequel les intérêts particuliers aboutiraient à des conflits ouverts.

Nous oublions que le Royaume de Jésus n’est pas de ce monde. Le labeur immense pour établir paix et justice sur terre n’est que prémices d’un royaume qui n’adviendra en plénitude qu’après notre mort, au jugement dernier. « Je ne vous promets pas le bonheur en ce monde mais dans l’autre » dit la Vierge Marie à Bernadette dès les premières apparitions. De même à Fatima l’Immaculée promet le ciel aux enfants mais après une vie de labeur et de combat spirituel.

Est-ce à dire que les chrétiens seraient des masochistes qui préfèrent la souffrance et les épreuves à la lumière et la paix d’une vie harmonieuse ? L’histoire de l’Église témoigne de la passion des chrétiens pour sauver et guérir, pour se dévouer à toutes les causes justes qui portent le bien à toutes les nations. Non la religion n’est pas l’opium du peuple selon le mot de Karl Marx.

Le chrétien est une personne réaliste qui regarde les faits tels qu’ils sont pour les affronter avec la foi en Jésus vainqueur du mal et de la mort. Le chrétien a le cœur au ciel et les pieds sur la terre. Le chrétien espère le ciel en vivant pied à pied son pèlerinage sur la terre. Ce n’est pas l’autruche qui voit le danger arriver pour le vaincre, c’est l’aigle qui sait voir et prendre de la hauteur. Pour être vainqueur du mal par le bien il faut être lucide et réaliste. Méfions-nous des faux prophètes qui confondent espoir et espérance. L’espérance vraie traverse les épreuves pour nous donner la force de les affronter, dans la certitude de la victoire parce que Jésus est vainqueur. L’espérance vraie est une ancre sûre qui enracine notre cœur au ciel, c’est-à-dire dans le cœur de Dieu pour vivre à plein les peines et les épreuves de cette vie. Les pleurs et les larmes de nos vies ne sont plus se transforment en douleur d’un enfantement qui s’achèvera dans la plénitude du Royaume à l’avènement définitif de Jésus.

Si les contemporains de Jérémie avaient eu plus de foi pour croire que leur Dieu est celui qui mène l’histoire, capable de les laisser traverser la destruction même de leur pays, capable de les garder d’un long exil au bord des fleuves de Babylone, les israélites n’auraient alors pas maltraités le prophète. Mais le roi Sédécias a préféré écouter les prophètes de cour, toujours très nombreux, sachant même qu’ils mentaient, pour n’en faire qu’à sa tête. Après avoir vu ses fils égorgés, il aura les yeux crevés par ses ennemis. Il ne verra pas le retour d’exil qui vit naître le judaïsme porteur de l’espérance folle du Messie attendu.

La « Realpolitic » n’est souvent que vues à court terme pour sauvegarder des intérêts immédiats et quelques peu égoïstes. Les grands hommes de l’histoire ce sont ceux qui ont une vision large et profonde de la réalité. Ils savent dépasser les apparences et les calculs de bas étages pour se projeter dans l’avenir en s’appuyant sur les vraies forces de leur peuple. Si de surcroît ils ont la foi, ils savent que c’est Dieu qui tire les ficelles, comme le disait Padre Pio. Non pas parce que, hommes, nous sommes des marionnettes entre les mains de Dieu, non ! Nous sommes de simples serviteurs du Maître de l’histoire. Les saints qui seuls transforment le monde voient la réalité si tragique soient-elles avec un regard de pleine lucidité mais jamais sans la lumière au cœur que « le mal n’aura pas le dernier mot » ni sans une fidélité inébranlable à leur devoir d’état du moment.

À nous de refuser les compromissions, les lois et tous les agissements contre la vie reçue de Dieu seul. À nous de nous ouvrir à Dieu dans un vrai cœur à cœur qui ne nous fera craindre aucun combat, pour travailler, à notre place, quels que soient les vents contraires, avec « l’espérance qui ne déçoit point. » [2]


[1] Lc 12, 49

[2] Rm 5, 5

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Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme … » Ap 11, 19