“Pour obéir à la parole…” 2 R 5, 14
Qu’il est beau cet homme originaire de Syrie, vaillant et très considéré à la cour du roi d’Aram. Général d’armée, habituellement il commande et les soldats obéissent. Dramatiquement sa situation s’est complètement retournée contre lui. Il est atteint de la lèpre. Inguérissable à l’époque, la maladie signe une exclusion sociale totale. À la déchéance des relations se joint la déchéance physique. La lèpre va inexorablement ronger le corps pour la mort. Le général ne commande plus rien. La maladie est maître. C’est elle qui commande jusqu’à terme.
Une petite servante, une de celle qui obéit par condition sociale, une jeune israélite prise en esclavage par l’ennemi et récupérée par le général lors de ses conquêtes, va conduire le grand homme à un acte d’obéissance splendide : aller humblement consulter le prophète Élisée, du pays de Samarie, pays des étrangers à son peuple. Naaman le général paye un cher tribut au roi d’Israël pour obtenir sa guérison. Le roi croit que son interlocuteur prestigieux se moque de lui en s’imaginant qu’il est dieu pour guérir quelqu’un de la lèpre. Le prophète averti appelle le général et lui demande simplement d’aller se plonger sept fois dans le Jourdain. Furieux devant cet offre si simple, le militaire rechigne. Il imaginait que le prophète allait faire, comme beaucoup de sorciers ou de chamans, de grandes incantations et des rites compliqués, voire spectaculaires, pour une guérison hors du commun. Se plonger sept fois dans un fleuve, qui plus est symbole d’Israël. Un enfantillage, une gaminerie, pense Naaman croyant à son tour que le prophète se moque de lui. Ses serviteurs réagissent avec bon sens. Si ce fut compliqué à faire il se serait exécuté. L’homme de Dieu lui demande une chose si simple, pourquoi ne le fait-il pas ?
Ainsi dira le prophète Jérémie : « Le cœur de l’homme est compliqué et malade. » [1] Dieu est simple, ce qui ne veut pas dire simpliste. Dieu se fait mendiant auprès de ce prestigieux général, quémandant un acte de confiance et de la foi qui sauve. La confiance ! Tout bon général a le pouvoir de commander et de se faire obéir. Mais sans mériter la confiance de ses hommes, il n’obtient qu’une obéissance de contrainte militaire, non d’assentiment. La situation se retourne pour l’officier supérieur. Cette fois-ci c’est lui qui est appelé à la confiance à plus grand que lui, par un véritable assentiment. Quand nous allons à Dieu, nous y allons souvent avec nos réflexions pseudo savantes, alambiquées, pleines de notre imagination, projetant sur notre entourage nos rêves de domination et de force, quand, par pur mimétisme, nous ne reproduisons pas les leurs .
Qu’a donc à perdre ce général ? Rien. Il obéit donc à la parole du prophète. Celui-ci ne manque pas de pédagogie. Élisée lui a demandé de faire sept fois la manœuvre. La première fois, sans doute Naaman le fait en désespoir de cause, puis une deuxième, puis une troisième fois. Peu à peu, ne voyant pas la guérison arriver il lui faut persévérer dans la foi par un véritable abandon de petit enfant, de remise de soi au tréfond de l’âme, afin que son cœur s’ouvre non seulement à la guérison du corps mais à celle de l’esprit. « Sa chair redevint comme celle d’un petit enfant. » [2] Non seulement sa chair, mais son cœur. En homme responsable, il tient alors à remercier de haut prix sa guérison en offrant beaucoup selon ses larges moyens. Le prophète refuse tout cadeau. Abandonnant ses richesses de gloire humaine et de sécurité matérielle, le général œuvre avec son cœur d’enfant. Il devient un humble devant Dieu, le Père des cieux qui nous a donné en partage si gratuitement toute cette terre si belle. Ce Dieu qui l’a guéri c’est le Dieu d’amour et de la totale gratuité en amour. Pour signe de cette gratuité d’amour, reçue en surabondance, le général sauvé de sa lèpre ne tient plus qu’à repartir avec un peu de la terre d’Israël. Non que cette terre soit spéciale ou magique au regard de celle de son pays d’Aram, mais parce qu’elle est symbole de Dieu venu habiter la terre, au carrefour de toutes les grandes civilisations. Le Dieu d’Abraham est Dieu pour toutes les nations, pour la multitude, dira Jésus. Dieu, en nous créant par pur amour à son image et ressemblance, nous a légué toute la terre et toute terre en héritage d’amour.
De longs siècles plus tard Jésus fait route sur ces mêmes chemins de Samarie où naguère Élisée prophétisait. Viennent à lui dix lépreux. Jésus les guérit, car Dieu ne supporte pas la souffrance des hommes. Un seul retourne pour lui rendre grâce. Nous voilà bien égoïstes invétérés appartenant au neuf dixième de l’humanité, des suffisants pleins de notre moi orgueilleux. Jésus pleurera amèrement les péchés qui rongent notre vie plus cruellement que la lèpre physique. Nous allons devoir apprendre, à travers les larmes de la passion du Christ, la gratuité folle de l’Amour divin. Jésus mourra sur la croix crucifié par les lèpres de nos péchés et suppliera le Père de nous pardonner. En rencontrant ces lépreux, Jésus monte à Jérusalem nous dit saint Luc. Ce qui signifie pour y souffrir sa Passion d’amour en vue du salut des hommes.
« Si nous ne redevenons pas comme des petits enfants nous n’entrerons pas dans le Royaume » dit Jésus. [3] La prière humble et fidèle, la pratique consciente des sacrements, l’abandon filial à la parole lue régulièrement et amoureusement, la charité envers les plus petits sont autant de chemins pour parvenir à un cœur d’enfant… Comme Naaman laissons-nous dérouter par la simplicité de Dieu. Comme Naaman le général syrien, ne craignons pas de nous y reprendre longuement, jusqu’à sept fois, et davantage s’il le faut, avant de faire un véritable acte d’abandon. Comme Naaman le syrien, apprenons que nous sommes des débiteurs insolvables, et que sans notre obéissance d’enfant à la parole de Dieu, nous ne guérirons jamais de nos péchés, lèpres plus terribles que toute maladie du corps.
[1] Jr 17, 5
[2] 2 R 5, 14
[3] Mt 18, 3