« Quel est en effet le plus grand ? ... » Lc 22, 27
Homélie pour le dimanche des Rameaux
Frère Jean-Dominique Dubois
Ce que nous venons d’écouter et de contempler dépasse l’entendement. La passion de Jésus de Nazareth est un scandale au sens propre du mot, une pierre d’achoppement. « Lui qui était de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, il s’est vidé de sa divinité jusqu’à prendre la position de l’esclave. » [1] Cet hymne des premiers temps de l’Église, repris par saint Paul dans sa lettre aux Philippiens, nous crie le scandale qu’est Jésus crucifié, mystère au cœur de notre foi chrétienne. La terre d’Alsace est riche de beauté. Cette terre si belle et si riche est couverte de calvaires, partout, à la croisée des routes, à la porte des maisons petites ou grandes, au cœur de chaque village. Ne sommes-nous pas trop habitués ? Remarquons nous encore ce symbole fort et puissant où le plus grand parmi nous s’est fait le plus petit. Il a été compté au rang des malfaiteurs, subissant le pire des supplices, la crucifixion. Torture d’un très grand sadisme monté pour effrayer les populations occupées. Or voici qu’en regardant Jésus crucifié, si bas qu’un homme puisse tomber, cet homme trouvera quelqu’un qui est tombé encore plus bas que lui : Jésus de Nazareth. Cette réflexion de l’abbé Huvelin, le confesseur de Charles de Foucauld, a transformé l’officier français imbu de lui-même en ce doux adorateur de Jésus hostie, apôtre des Touaregs en Algérie.
Nous rêvons de grandeur et de puissance, que ce soit dans la simple jouissance des biens de cette terre, symbolisés par le sexe ou l’argent. Ou bien nous désirons grandeur et puissance dans la chefferie de notre petite responsabilité locale. Jésus le Créateur, le Tout Puissant en amour, par qui tout a été fait au ciel et sur la terre, monte à Jérusalem sur la monture du plus humble des rois, sans armées et sans pouvoirs surhumains qui en imposent. Jacques et Jean, les fils du tonnerre, doivent en rabattre de leur fougue coléreuse et vindicative pour sauver l’honneur de leur maître. Pierre doit ranger son épée dans le fourreau. Judas mourra de désespoir pour n’avoir pas cru en la miséricorde après avoir voulu forcer le destin royal de Jésus. Pilate, le gouverneur romain, ne trouve en lui aucun motif de condamnation politique, pas plus que les chefs des juifs n’ont trouvé en lui de motifs de condamnation religieuse.
Alors où est le problème ? Pourquoi faire mourir le juste qui n’a été qu’une source de vie pour tous ? La jalousie ! … « Pilate savait bien que c’était par jalousie qu’on l’avait livré. » [2] Le livre de la sagesse dit : « La mort est entrée dans la monde par la jalousie du diable. » [3] La jalousie est ce terrible défaut qui désire le bien de l’autre, si ce n’est le bien qu’est l’autre. Or nul n’est bon que Dieu seul, tout bien vient de Dieu, et nul ne peut faire le bien sans Dieu. Être jaloux c’est porter la main sur Dieu à travers le bien que je convoite ou la personne que j’envie. Être jaloux représente donc un blasphème. Curieusement voilà que les détracteurs de Jésus l’accusent de blasphèmes, lui le Messie qui, en faisant le bien, n’a fait que rendre à chacun ce qu’il a reçu de Dieu et ce qu’il est. Jésus est l’anti blasphème par excellence. Ses accusateurs le livrent sous prétexte qu’Il voudrait le pouvoir politique. Le procurateur romain lui-même ne reconnait en lui ni un séditieux ni un chef de rébellion politique. La jalousie ne donne des lunettes que pour inverser toute chose, appelant nuit ce qui est lumière. La jalousie et l’envie sous toutes ses formes appellent bien ce qui est mal et mal ce qui est bien. Les mots n’ont plus leur sens. On marche la tête à l’envers sans s’en rendre compte. « Si vous disiez que vous êtes aveugles vous seriez sans péché, mais parce que vous dites que vous voyez vous êtes dans le péché » [4] dit Jésus à ses adversaires.
Pour toute réponse Jésus offre la beauté de son silence débordant d’amour et de miséricorde. Il guérit le garde blessé à l’oreille par l’épée de Pierre. Il pardonne aux malfaiteurs et à tous. « Père, pardonne leur ils ne savent pas ce qu’ils font. » [5] Au cœur du plus atroce des supplices, au cœur de la souffrance infinie de l’Amour éternel qui prend sur lui toutes nos désobéissances à l’amour, Jésus offre l’obéissance de son cœur à son Père, Jésus offre la réponse qui sauve le monde : « Entre tes mains Père je remets mon esprit. Et ce disant il inclina la tête. » [6] Jésus n’incline pas la tête parce qu’il n’a plus de souffle. Mais lorsque le souffle va lui manquer définitivement, Jésus incline volontairement la tête, tel un petit enfant qui s’endort sur le cœur de son père. Sa mort est une mort volontaire que la mort séparation, fruit du péché, ne lui ravira pas. Sur la croix la mort est morte chante la liturgie de cette semaine sainte. La mort de Jésus est une mort d’amour. Nous annonçons, dans la liturgie, la mort de Jésus comme une bonne nouvelle. La mort de Jésus nous guérit de toutes nos morts, fruits de nos jalousies. « Ma vie nul ne l’a prend, c’est moi qui la donne… J’ai le pouvoir de la donner et de la reprendre. » [7]
Est maître et seigneur en cette vie celui qui dans le Christ s’abandonne à l’amour pour ne jamais céder à la tentation de la toute-puissance et de la toute jouissance. La petite Thérèse l’a fort bien compris, elle qui voulut s’appeler « de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face. » C’est la petite enfant de Normandie qui est proclamée « docteur de l’amour », pas le tyran qui est en moi prêt à écraser les autres d’une manière ou d’une autre pour cacher sa vilaine et secrète jalousie. « Si vous ne redevenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume. » [8] dit Jésus.
L’oraison de ce jour est implacable. « Pour donner au genre humain un exemple d’humilité, tu as voulu que notre Sauveur prenne chair et qu’il subisse la croix… » Qui peut comprendre, sinon celui qui accepte de prendre la même chemin, en se laissant conduire par l’Esprit Saint ?
[1] Phi 2, 6
[2] Mt 27, 17
[3] Sa 2, 24
[4] Jn 9, 41
[5] Lc, 23, 34
[6] Lc 23, 46
[7] Jn 10, 18
[2] Mt 27, 17
[3] Sa 2, 24
[4] Jn 9, 41
[5] Lc, 23, 34
[6] Lc 23, 46
[7] Jn 10, 18
[8] Mt 18, 3