« Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. » Ap 1, 18

Homélie pour le dimanche de la Miséricorde (C)

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

La mort effraie. La terrible réalité d’un être proche sur son lit de mort, la perspective de notre fin définitive, plus encore peut-être le fait de la déchéance progressive, tout cela nous trouble, nous angoisse et nous fait peur. La mort est le signe indubitable que la vie nous échappe. Si bien que lorsque nous formulons nos vœux de bonne année, nous insistons : « et la santé surtout » … Une seule personne cette année m’a souhaité : « et la sainteté surtout… » C’est dire que nous sommes accrochés à notre santé comme au radeau de la méduse. Cela se comprend. Il convient cependant de réfléchir à la vie et à la mort. La conscience de notre fragilité devrait nous faire vivre à hauteur de notre destinée qui doit passer par la mort sans aucune fuite du réel. « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » Cette parole liturgique du mercredi des cendres prend paradoxalement à Pâques toute sa saveur face au mystère de la résurrection, particulièrement en ce dimanche de la miséricorde.

L’apôtre saint Jean est sur son île de Patmos en Grèce, quand le Christ ressuscité lui apparaît. Jean touche la Vie véritable. Il craint de mourir. La vie et la mort sont proches. Mais de quelle mort parle-t-on ici ? Non point de la mort déchéance du tombeau que nous craignons tant. Non point de la mort séparation d’avec Dieu ou d’avec les autres en raison de nos guerres et de nos péchés. Non point de la mort qui conduit en enfer dans une séparation définitive qui est torture de l’âme parce qu’on s’est rendu incapable d’aimer en communion. « Ne crains pas, je suis le Premier et le dernier, le Vivant ; je fus mort et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et de l’Hadès. » [1] Il y a une mort qui conduit en enfer, dans l’Hadès ou le séjour éternel des morts. Il y a la Mort qui conduit à Dieu, c’est la mort passage, la mort qui est Pâque de résurrection. Il y la mort d’amour qui nous fait passer d’une vie égoïste et orgueilleuse, centrée sur nous-mêmes, à une vie donnée de communion. Ce n’est pas la mort qui conduit dans tous les enfers de l’humanité, la mort qui nie froidement la beauté unique de chaque personne, la mort qui détruit la beauté de Dieu dans la création.

L’apocalypse nous dit que l’apôtre Jean tombe « comme mort » aux pieds de Jésus. La Vie véritable et éternelle en s’approchant d’un mortel le conduit à passer de ce monde fragile et périssable à un monde de plénitude de vie. À Lourdes, le mercredi de Pâques, Bernadette en extase est en communion avec le ciel à travers l’Immaculée qui se découvre à ses yeux. Voici qu’elle laisse glisser le cierge allumé tenu en ses mains. La flamme est subitement entre les mains jointes. Tout le monde crie craignant qu’elle se brûle. Un médecin, incroyant notoire, interdit de le lui enlever. Aussitôt la fin de l’apparition le docteur Dozou se précipite sur les mains de la petite pensant constater une grave brûlure. Il n’en était rien. Quand on est en communion avec le Christ, avec le ciel, nul péril ne peut plus vous atteindre pour vous conduire à une mort périssable. L’apôtre Thomas veut voir les plaies de Jésus afin bien réaliser que Jésus est réellement victorieux de la déchéance de la mort du tombeau, sans quoi il ne pourra croire à la mort passage et pâque définitive. Trop de souffrances, de maladies, de blessures et de guerres sèment la mort destruction qu’il nous est difficile de croire à la résurrection des morts dès cette terre. Or notre foi nous dit que, par la grâce de notre baptême, nous sommes morts avec le Christ et ressuscités avec Lui. Vivons-nous comme des vivants du ciel ou comme des morts vivants destinés au séjour éternels des morts ?

Le Christ miséricordieux, apparu à sœur Faustine Kowalska, vient nous rappeler la grâce de notre baptême et de tous les sacrements. Les sacrements sont les gestes de Jésus. Ils sont la vie de Jésus offerte en rémission des péchés pour nous sauver de la mort éternelle, séparation d’avec Dieu et d’avec nos semblables. Plus nous grandirons dans la foi au Christ, plus nous nous unirons à Jésus ressuscité miséricordieux, plus nous nous laisserons aimer par le Christ des miséricordes plus nous entrerons dans la vie, plus nous éprouverons que tout ce qui est déchéance en notre corps et en notre vie n’est que l’écorce de l’arbre qui tombe pour que l’arbre grandisse, telles les feuilles d’automne. En mourant elles laissent paraître déjà les bourgeons du prochain printemps. Oui, nous ne sommes que poussière, mais tournés vers Dieu, convertis à l’Évangile, nous sommes vivants à jamais. Il y a quelque chose de pire que d’être cloué sur un lit d’hôpital par une terrible maladie qui vous ronge les os, c’est d’être debout et en pleine santé, mais rongé par la haine, le ressentiment, la colère et le désir de vengeance, sans aucune miséricorde pour celui qui vous a fait souffrir, sans aucun désir de pardon. Cette pourriture de l’âme conduit à la mort éternelle.

Carlo Acutis, qui aurait dû être canonisé aujourd’hui, et le sera bientôt par le prochain pape, a vécu l’enfer d’une leucémie foudroyante dont les traitements médicaux l’ont beaucoup fait souffrir. Les médecins et ses parents n’ont entendu aucune plainte. Carlo a voulu vivre ce chemin de croix pour sa propre purification, autant qu’en offrande pour le pape François qui vient de mourir. Il voulait faire son purgatoire pour aller bien vite en paradis. Carlo avait compris que l’eucharistie est le chemin du ciel qui nous dit que le but de toute vie humaine est d’être uni à Jésus. Carlo n’a pas cessé de recevoir la miséricorde pour lui dans le sacrement de pénitence. Carlo n’a pas cessé de faire miséricorde aux plus pauvres de sa grande ville de Milan, venus nombreux à ses obsèques au grand étonnement de sa maman. Seul celui qui croit à la miséricorde et qui fait miséricorde est vivant. Tout autre chemin est chemin de mort.

Que l’Esprit Saint nous renouvelle dans notre foi en la Miséricorde infinie de Dieu pour croire que la vie éternelle est dans le pardon et la réconciliation offert par le Cœur ouvert du Christ, d’où jaillit l’eau de la Vie éternelle et le Sang de la Miséricorde divine.

[1] Ap 1, 18

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« .. il n’était pas possible qu’il fût retenu en son pouvoir. » Ac 2, 14