« Vient après moi un plus fort que moi… » Mt 3, 11
Homélie pour le 2° dimanche de l’Avent (A)
Frère Jean-Dominique Dubois, ofm
Il était très fort Jean le Baptiste. Voyez comment tout Jérusalem et tous ceux des pays d’alentours courent au bord du Jourdain pour le trouver. « Quand il y a une source quelque part on trace des sentiers pour la rejoindre » dit un proverbe africain. Qu’êtes-vous donc aller voir, demandera Jésus ? Un pauvre ermite, vêtu de poils de chameaux et ne mangeant que sauterelles et miel, perdu dans les déserts de Judée, reclus dans ces terres arides de la vallée de Jéricho, tel un roseau à tous les vents, tel un moustique du désert. Et pourtant, c’est ce misérable vermisseau qui fait se déplacer de nombreux habitants de Judée et de Galilée. Il est fort Jean-Baptiste. Au point que les chefs religieux s’en inquiètent et envoient force délégation. Plus fort encore le voici à traiter les chefs des prêtres d’engeance de vipères. Quelle audace ! Disputer les catéchistes du peuple, les plus instruits en religion et les guides de la nation juive, même sous occupation romaine. Comme il faut être très fort pour oser s’opposer aux gardiens de la foi juive en les invitant à la conversion. Ce qui, soit dit en passant, signifie que l’on peut être religieux pratiquant et n’être pas dans la bonne direction selon Dieu, car c’est cela que veut dire se convertir : prendre dans sa vie la bonne direction.
Or voici que ce prophète unique et en marge, perdu dans le désert, annonce la venue d’un plus fort que lui. Un envoyé de Dieu, dit-il, qui baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Le feu de la vraie charité et de la vraie religion. Le feu qui offrira aux croyants de devenir des adorateurs en esprit et en vérité rendant gloire au nom de Dieu et faisant justice au monde.
Il y a dans notre histoire des personnages plus forts que le feu, plus forts que tous les puissants de ce monde. Sainte Barbe, la patronne des pompiers et de tous les artificiers, dont la légende raconte que le feu du ciel terrassa ses bourreaux qui venaient de l’exécuter. Saint Philibert, qui, par ses reliques de Noirmoutier, convertit les envahisseurs normands. Sainte Jeanne d’Arc dont le bûcher ne réussit pas à brûler le cœur. Celui-ci retrouvé intact dans les cendres dut être noyé dans la Seine pour ne laisser aucune relique.
Ainsi Jean le Baptiste nous invite à craindre, plus que les incendies de la terre, le feu de la colère de Dieu. Ce feu du Dieu vivant n’est pas un feu destructeur, mais purificateur. Tel le feu du cœur des saints, animés tout entiers de l’amour divin. Feu qui ne détruit personne mais laisse les persécuteurs au mal qui les ronge. Si ma vie est dans la bonne direction, si le feu de l’amour de Dieu et du prochain habite mon cœur, la colère de Dieu n’est rien d’autre que la main du vigneron qui taille sa vigne, ou le cri du lanceur d’alerte qui fait signe d’aller toujours plus loin et plus haut. Au contraire si je ne veux pas brûler de ce feu divin, le feu du Dieu très pauvre, lequel ne peut m’obliger à aimer, me consumera le feu d’un remords éternel pire que tous les incendies de cette terre. Parce que ce feu divin ne s’éteint jamais. Ou bien il vous brûle d’amour, ou bien il vous brûle de remords.
Jésus, nous dit Jean-Baptiste, est bien le plus fort par le feu de son Esprit Saint. De fait le Christ ira jusqu’à dérouter son génial prophète, hérault de sa venue. Jésus mettra le feu sur la terre, celui de son amour, jusqu’à pardonner à ses ennemis sur la croix. Dès les débuts du ministère de Jésus, Jean-Baptiste, croyant s’être trompé, sera surpris au point de demander à Jésus, si l’on devait attendre un autre messie. Jésus lui répondra : les boiteux marchent, les sourds entendent, les démons sont chassés, les morts ressuscitent, le règne de Dieu est parmi nous. [1] Dieu ne peut que donner la vie. Jamais il ne la reprend, sans quoi il se renierait. Cette vie reçue est appelée à brûler du Dieu d’amour pour donner la vie à son tour ou brûler d’être séparé à jamais de l’amour qui fait vivre.
Le cardinal Lustiger aimait dire que « seuls les saints transforment le monde. » Or qu’est-ce qu’un saint ? Une personne géniale aux talents extraordinaires ? Non. Un privilégié de Dieu qui plane au-dessus de la moyenne ? Non. Un être de pénitence qui est capable d’exploits humains à vous couper le souffle et à faire pâlir ses adversaires ? Non. Un saint c’est une personne qui tient humblement ce qu’elle est, fidèle à son devoir d’état, mais brûlé de l’intérieur par le feu de Dieu dans sa vie. Un saint c’est comme une allumette capable de mettre le feu à une forêt. Puissions-nous brûler de ce feu de l’amour du Christ et ne point nous contenter de notre petite routine religieuse qui fait de nous des braves gens, mais pas des saints…
[1] Mt 11, 5