« Tout sera détruit. » Jn 21, 6

Homélie pour le 33° dimanche du Temps de l’Église (C)

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

Les disciples sont heureux. Rien ne leur manque. Joie profonde pour eux d’avoir trouvé le Messie. Ils sont les témoins des merveilles que ce dernier accomplit. Les aveugles voient. Les boiteux marchent. Les sourds entendent. Les démons sont chassés. Les morts ressuscitent et le pardon est donné. [1] Que peuvent-ils bien craindre avec un tel maître ? Les voici sans doute comme à l’accoutumée, à Gethsémani, au jardin des olives, en prière avec lui. Depuis Gethsémani, colline située à l’Est de Jérusalem, au-delà de la vallée du Cédron, on contemple toute la ville située sur la colline de Sion. C’est aujourd’hui encore la photo la plus célébre de Jérusalem avec l’esplanade du Temple en perspective sur toute la hauteur de Sion, dominée actuellement par l’or du dôme du Rocher et la mosquée El Aqsa. Quelle splendeur cela devait être quand le temple n’était pas détruit. Les pierres blanches et ocre, brillant au soleil du matin, dégagent la grandeur unique de ce Temple. Certes les disciples sont conscients des oppositions que Jésus suscite, surtout parmi les chefs du peuple. Mais son entrée triomphale à Jérusalem représente un peu la consécration de ce Temple et l’assurance que Dieu est bien là, présent en la personne de Jésus, au milieu de son peuple. Tout leur compagnonnage avec Jésus leur laisse penser à un prochain accomplissement du salut du peuple. Pourquoi pas à une délivrance de l’occupation romaine, puisque tout est si beau et si rassurant, au-delà même de certaines controverses.

En Jésus le Messie, Dieu est avec nous, que pourrions-nous craindre, pensent les disciples ? Tout avec Lui semble aussi solide que ce temple, temple admirable et indestructible à leurs yeux, par sa force et sa puissance de construction, autant que par sa beauté lumineuse. 

Or voilà que Jésus leur annonce solennellement : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » [2] Les disciples réagissent avec naturel et comme nous à l’annonce d’un malheur par quelqu’un de crédible. Quand cela va-t-il arriver ? Et Jésus de leur annoncer les faux prophètes qui pulluleront pour annoncer cette fin prochaine sous des annonces fallacieuses. Peu importe les temps et les moments, ce qui est sûr c’est que cela va arriver. Tout sera détruit de ce temple que tout le monde admire. Ce à quoi il ajoute qu’il y aura aussi de terribles guerres et de dramatiques séismes, des catastrophes naturelles et d’autres malheurs, comme des épidémies ou des maladies, ainsi que des phénomènes effrayants et des grands signes dans le ciel.

Comme si cela ne suffisait pas Jésus leur annonce les tourments qu’ils subiront parce que membres de son corps qu’est l’Église. « On portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom… Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. » [3] Quel programme, guère réjouissant !

Pourquoi toutes ces annonces catastrophiques ? Jésus serait-il un prophète de malheur ? Dieu serait-il un pervers qui ne manifeste son autorité qu’en écrasant ses créatures ? Pourquoi un tableau si sombre alors que le peuple ne manque déjà pas de souffrances. Pourquoi en rajouter ?

La déjà longue histoire du peuple d’Israël manifeste que Dieu n’a pas cessé de vouloir sortir son peuple de tous ses esclavages et de toutes ses guerres. Israël confesse le Dieu Unique, lent à la colère, tendre et miséricordieux, le Dieu briseur de guerres. Mais Dieu ne peut pas empêcher l’homme de faire le mal, y compris dans sa pratique religieuse. Dieu n’a pas créé le goulag de l’amour. On peut tout prendre des dons de Dieu, y compris dans la religion, le Temple, les églises et les pratiques les plus nobles. Tout cela pour faire du trafic selon ses intérêts en se sécurisant à bon compte. Le mal est au cœur de l’homme dont le prophète Jérémie disait que ce cœur humain est compliqué et malade. [4]Jésus est venu tout guérir mais il est rejeté. Le prologue de saint Jean dit que depuis deux mille ans Jésus est venu chez les siens, par sa parole et son Esprit, mais les siens ne l’ont pas reçu. Ne préférons nous pas souvent nos ténèbres à la lumière, tout en habillant nos œuvres de soi-disant lumière, de peur de découvrir que nos œuvres sont mauvaises. Jésus ne veut ni la guerre ni tous ses malheurs. Mais il annonce ces catastrophes par le fait de la méchanceté de l’homme, la méchanceté de nos cœurs qui ne veulent pas se convertir, tout en prétextant souvent le contraire. Tout sera détruit non seulement du Temple de Jérusalem. Tout sera détruit du corps même de Jésus qui cependant crie toute la tendresse miséricordieuse de Dieu. Voyez comment les jaloux et les méchants surgissent dans nos communautés humaines dès que du bien se fait. Voyez comment les disciples n’ont pas cru Jésus quand il a annoncé sa propre passion, la destruction du Temple de son corps.

 Qu’est-ce donc qui sauvera le monde ? La veuve ! La pauvre veuve que personne ne voit et qui en entrant dans le temple ne met pas de son superflu, mais de sa nécessité. Toute sa nécessité. [5]  Juste avant ce cri d’admiration des disciples et avant l’enseignement de Jésus sur la destruction du Temple Jésus a fait l’éloge de la veuve et de son obole. À quoi bon nos pratiques religieuses et le plus beau des temples si le cœur n’y est pas ?

À l’intention de ceux qui sont prêts à ce don total Jésus ajoute : « Cela vous amènera à rendre témoignage. Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. » [6] L’important n’est donc pas de se préoccuper s’il y aura des guerres ou des maladies. Il y en aura nous dit Jésus. L’important, l’urgent est dans ma conversion personnelle. Vais-je donner à Jésus de mon superflu ou bien la totalité de mon cœur et de mes biens ? À l’époque de Bernadette Soubirous la France et la Prusse étaient en conflit. On demanda à Bernadette si elle craignait les prussiens. Ce à quoi elle répondit que non elle ne craignait pas les prussiens mais les mauvais chrétiens.

[1] Mt 11, 5 sv

[2] Lc 21, 6

[3] Lc 21, 12

[4] Jr 17, 5

[5] Lc 21, 1-4

[6] Lc 21, 14-18

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