« Se faisant un fouet de cordes il les chassa tous du Temple… » Jn 2, 15

Homélie pour la fête de la Dédicace de la Basilique de Saint Jean de Latran

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

 

La colère de Jésus dans le Temple n’est pas un effet de style, un tableau secondaire d’un chapiteau de cathédrale. Nous n’avons guère l’habitude de considérer la colère de Dieu. Nous préférons la douceur et l’humilité du Christ, au risque de les considérer en des couleurs saint sulpiciennes un peu kitch pour une spiritualité à l’eau de rose. Époque de la psychologie non directive et de l’interdiction des fessées. Monsieur Émile Rousseau domine les esprits : l’homme est naturellement bon. Une certaine culture le pervertirait. L’enfant, reflet des adultes, doit donc pouvoir choisir tout ce qu’il veut selon ses désirs et ses fantasmes, ceci dès le plus jeune âge. On protège les bourreaux. On condamne les autorités chargées de la répression. L’air du temps est à la déculpabilisation ou bien à la culpabilisation renversée. Le consensus fait la loi. Ce n’est plus la loi qui fait le consensus. Rien de plus mutable qu’un consensus selon les époques ou les idéologies à la mode. On ne sait plus la droite de la gauche, l’envers de l’endroit, ni ce qui est beau et laid, juste ou injuste. Qu’importe de présenter comme œuvre d’art un batracien gonflable, le derrière en l’air, sur l’une des plus belles places de Paris. C’est le summum du génie humain, nous dit-on ! …

Dieu n’est pas dans ce bazar culturel. Osons regarder combien la colère de Dieu est présente à toutes les époques de l’histoire chaque fois que l’homme perd la boussole. À peine établi sur sa terre le peuple d’Israël subit la colère du prophète Amos. L’homme de Dieu annonce que Dieu va punir à mort.[1] Tous les prophètes le redisent, à temps et à contretemps, à qui ne veut pas faire justice à la veuve et l’orphelin, à qui oublie de pratiquer la Torah, la loi de l’Alliance, installé en des palais de grand confort. Le prophète Jérémie prêche l’exil à Babylone comme la purification de Dieu pour toutes les désobéissances à la Loi. Toute l’histoire d’Israël et de l’Église témoigne de ces événements de malheur considérés comme punition divine.

Qu’est-ce donc que la colère de Dieu ? Un retour aux dieux terribles des religions premières écrasant l’homme pour jouir seuls d’un bonheur divin ? Non point ! La colère de Dieu, c’est l’amour débordant d’un père qui veut mettre un coup d’arrêt à la méchanceté de l’homme. Le père crie à son enfant qu’il ne peut et ne doit pas faire cela car il l’espère beau et magnifique en humanité. La colère de Dieu c’est le cri de celui qui avertit d’une chute dans un précipice pour ne pas voir mourir celui qu’il aime. La colère de Dieu n’est pas la volonté que Dieu aurait de faire mal pour se faire obéir. La colère de Dieu c’est la souffrance d’un cœur d’amour quant à un malheur prochain, conséquence inéluctable d’action injuste. On récolte ce que l’on sème dit le bon sens populaire. La colère de Dieu c’est le cri d’un cœur d’amour qui ne veut plus vous voir souffrir en vous trompant, parce qu’il sait que le plaisir n’est pas l’amour, que la jouissance n’est pas la joie, que la terre n’est à confondre avec le ciel.

Qui a compris la Vierge Marie à Fatima ? « Prière, pénitence et réparation » dit la Vierge Immaculée aux trois pastoureaux… « La guerre va bientôt se terminer. Mais si l’on ne m’écoute pas, il y aura une autre guerre, bien pire », dit Notre-Dame de Fatima. Le maréchal Foch le dira en d’autres termes à la signature du traité de Versailles en 1919.  « Ce n’est pas une paix c’est un armistice de vingt ans. » Le chef militaire a compris qu’on a gagné la guerre mais pas la paix… Prier pour la conversion de la Russie, sinon elle répandra ses erreurs dans le monde, dit Marie. La Mère n’a pas été obéie. L’expansion du communisme dans le monde eut lieu avec son cortège de goulags et ses millions de morts. Il fallut attendre Jean-Paul II pour que les évêques du monde entier s’unissent à lui pour consacrer la Russie au Cœur Immaculée de Marie.  Tout est encore à vivre du message de Fatima, nous a dit le pape Benoît XVI. Qui en a conscience ? …

Dieu ne peut pas nous forcer à aimer. L’enfer c’est l’homme qui le crée avec sa liberté mal employée. Dieu ne peut que se mettre en colère pour crier au danger et tenter de nous arrêter. Regardons Jésus dans le Temple qui veut être « aux affaires de son Père. » [2] Jésus subit horrifié ce commerce religieux bruissant de tous côtés. Pour être kadosh, saint, à part de toutes les nations, donc des romains qui occupent le pays, les juifs ont imaginé un change de monnaie afin que la monnaie de César ne rentre pas dans le Temple. Pour être kadosh, saint, à part de toutes les nations, les juifs ont multiplié les sacrifices d’animaux, mais dans un esprit païen pour se concilier Dieu sans faire suffisamment l’effort de la religion du cœur prêchée par le prophète Isaïe au temps de l’exil. Bref, on se rassure à bon compte en pratiquant avec moult fastes la religion sans que le cœur y soit. On impose à Dieu nos façons de voir, sans laisser Dieu être Dieu dans nos vies. On fait de la politique pastorale en niant la pastorale de l’Esprit Saint. Dieu fait donc ce qu’il peut avec ce qu’on lui offre de notre temps et de nos manières de penser. On fait la volonté de Dieu, qui est en fait la nôtre, que Dieu le veuille ou non. Le refrain des générations actuelles est : « je n’ai pas le temps. » Nous avons le temps pour faire du commerce et du loisir mais jamais le temps de prier longuement, de lire la Bible et de nous convertir.

La colère de Jésus dans le Temple n’est pas une saynète pour théâtre de boulevard. Allez voir des photos de l’esplanade du Temple - deux à trois fois la surface des plus vastes marchés de nos grandes villes - et imaginez Jésus n’épargnant personne, semant partout un bazar innommable dans cet immense imbroglio d’étals de marchands. Certains juifs ne s’y trompent pas. Ou bien cet homme est un prophète, ou bien un imposteur ! … Ils lui demandent donc un signe. Jésus les renvoie à leur conscience. Vous savez bien que ce commerce détruit le temple, lieu et symbole de la prière et de l’adoration du Dieu Unique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Eh bien, dit Jésus, continuez de détruire le Temple de Dieu par tout votre commerce religieux et spirituel, vous savez fort bien ce que les prophètes ont annoncé : la destruction de ce Temple pour un Temple non fait de main d’homme. Apprenez que c’est moi qui le rebâtirai en trois jours. Il parlait du Temple de son corps. Le message est on ne peut plus clair.

« Seigneur, reprends moi sans colère et corrige moi sans fureur » prie le psalmiste. [3] En 1916, à Fatima, l’ange de la paix, l’ange du Portugal, apparaît aux trois pastoureaux et leur enseigne la prière suivante : « Très sainte Trinité, Père, Fils et Saint Esprit, je vous adore profondément et je vous offre le très saint Corps, Sang, Âme et Divinité de Notre Seigneur Jésus Christ, présent dans tous les tabernacles du monde, en réparation de tous les outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels il est lui-même offensé. Par les mérites infinis de son Cœur Sacré et du Cœur Immaculée de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs. »

Cette prière est à beaucoup méditer sans craindre de s’interroger sur nos propres trafics spirituels avec Dieu. Qui de nous s’inquiètent du manque de silence dans nos églises et dans nos vies ? Qui s’inquiètent de toutes nos communions sacramentelles de routine sans être en état de grâce, voire sans un état d’union conjugal légitime ? Qui de nous s’inquiètent de notre manque de connaissance de l’Évangile et de l’enseignement de l’Église ? Nous pratiquons bien des choses pour être avec Dieu en bonne conscience, pour gagner notre ciel. Mais le faisons-nous dans l’obéissance à ce que demande l’Église, donc à ce que demande le Christ ? François, Jacinthe et Lucie de Fatima en contemplant le ciel et l’enfer – qu’ils ont vus - ont tout compris de l’Amour infini de la Trinité Sainte par le Cœur de Marie. De leur propre aveu, ils ont cessé de pratiquer leur religion par habitude ou simplement pour se mettre en règle dans un esprit de petit boutiquier. Prière, pénitence et réparation furent désormais leur quotidien avec une ardeur bouleversante. Trois appels de l’Immaculée, désormais gravés dans leur cœur et leur vie au fer rouge par l’amour brûlant du Christ et de sa Mère, afin de nous garder de la colère de Dieu.

[1] « Je n’ai aimé que toi, aussi vais-je te punir. » Am 3, 2

[2] Lc 2, 49

[3] Ps 6, 2

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« C’est à moi que vous l’avez fait. » Mt 25, 45

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« Dieu les a mis à l’épreuve… » Sg 3, 5