« Dieu les a mis à l’épreuve… » Sg 3, 5

Homélie pour la commémoration de Tous les Fidèles Défunts

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

Est-il bien vrai qu’on ira tous au paradis, comme dit la célèbre chanson. [1] Beaucoup d’entre vous font encore dire des messes pour leurs défunts. Mais globalement cette coutume tend à se perdre. Les inscriptions sur les tombes des cimetières portent encore en nos régions des symboles chrétiens, mais, assez largement en Europe, les signes chrétiens sur les tombes disparaissent. Notre société demeure cependant inquiète devant la mort. Les rites funéraires évoluent en des modes qui voudraient nous rassurer devant la mort, soit en évacuant les questions fondamentales de l’humanité (d’où je viens, qui suis-je et où je vais ?) soit avec des rites aux symboles de simple souvenir, soit par des pratiques qui effacent les anciennes croyances chrétiennes au profit de gestes symboliques marquant un retour aux religions premières.

Les paléontologues nous enseignent que le début de la civilisation est marqué par l’époque où l’homme enterre ses morts. Ce que ne font pas les animaux. Les rites funéraires sont l’expression de la croyance en un au-delà, ou du moins l’affirmation que la vie humaine est plus grande que son parcours terrestre. Les Égyptiens construiront de magnifiques tombes riches d’une symbolique en une vie pérenne après la mort. Les pyramides témoignent de la foi en l’immortalité. Or il est impressionnant de voir la fascination pour l’Égypte au 19° siècle et aujourd’hui encore, alors même que ce siècle occidental a rejeté la religion chrétienne jusqu’à proclamer philosophiquement la mort de Dieu.

La mort hante mystérieusement notre société de surabondance. La mort est partout dans l’habillement et les décorations de nos maisons comme dans les couleurs de nos villages. Le bonheur matériel a étouffé la foi en la vie éternelle. Nos ancêtres se savaient mortels, car ils n’étaient pas protégés comme nous par les biens matériels et les technologies les plus avancées. Nos ancêtres construisaient des cathédrales pour pointer le but de leur vie, le ciel. Nos contemporains s’habillent de deuil et s’éclate dans une jouissance éperdue. Les uns regardaient en haut, nous regardons en bas…

Au tout début de mon ministère, voici plus de quarante ans, j’ai découvert avec étonnement l’incroyable fascination, de la part de nombreux chrétiens, pour la réincarnation. Réponse malheureuse que la réincarnation à une vraie question. En effet parvenir au bonheur éternel se mérite. Le commun des mortels affirme cela sans ambages. Qui peut croire qu’on parviendrait au ciel sans effort, voire après une vie de brigandage. La conscience que l’homme est digne par la liberté, laquelle le rend responsable, oblige à penser que tout se paie et que la justice d’une vie doit s’opérer. Donc si, d’après la doctrine de la réincarnation, on a plusieurs vies pour se racheter, on a la chance de parvenir au bonheur éternel. Sans aucun jugement, il ne faut pas craindre de dire que pour n’avoir plus prêcher depuis des dizaines d’années sur les fins dernières, et surtout sur la foi au purgatoire, nombre d’entre nous sont allés chercher dans une ancienne croyance une réponse à une juste question, niant au passage le caractère unique de chaque personne. Car si je me réincarne en n’importe quelle personne, plante ou animal, quelle est la valeur unique de ma personnalité unique ?

La vérité est tellement plus belle et plus simple que cela. Le livre de la sagesse nous dit que : « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en lui-même » [2] Dieu a créé l’homme immortel, pour le combler de son amour divin. Il n’y a pas d’amour véritable sans responsabilité. Il n’y a pas de dons qui n’impliquent des devoirs. Si l’homme faillit dans sa réponse à l’offre d’Alliance de Dieu qui lui confie tous les dons de la terre, Dieu lui ne peut se renier lui-même. On ne peut empêcher le soleil de briller. L’Amour qu’est Dieu ne peut pas cesser de rayonner d’amour sur tous les hommes, les bons comme les méchants. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils Unique. » [3] Et le Fils a donné tout de lui sur la croix, comme en témoigne son Sacré-Cœur.

Donc l’enfer existe, car s’il n’existe pas Dieu n’est pas amour. Si l’homme ne peut pas dire non à l’amour il ne peut pas aimer. Dieu, dans ce cas, nous aurait trompés. L’enfer c’est l’homme seul qui le crée en refusant d’aimer, car « en créant l’homme libre, Dieu a créé en face de lui un être capable de bâtir un empire sur lequel Dieu n’a aucun pouvoir, l’empire du refus de l’homme à l’amour de Dieu. » [4]

Vous qui êtes parents, vous en faites bien l’expérience. C’est par amour que vous avez mis vos enfants au monde. Vous avez pris le risque de mettre en face de vous une liberté qui vous dise non à votre foi et à vos valeurs. Pourtant vous ne cessez pas de les aimer ces enfants de votre amour, mais vous ne pouvez pas faire leur bonheur contre eux.

La vie sur cette terre est un long pèlerinage pour s’offrir à l’amour, pour répondre amour pour amour à Dieu lui-même et à tous ceux qui sont des gestes d’amour pour nous, pour aimer à notre tour sans mesurer notre amour. La vie sur cette terre façonne notre visage d’éternité, cette personnalité unique que nous sommes et qui ne cesse de naître pour arriver à une plénitude d’humanité en amour, laquelle un jour nous fera « entrer dans toute la plénitude de Dieu. » [5]

Quand on aime en vérité et qu’on a blessé l’amour, une seule envie nous tenaille, celle de réparer. Il n’aime pas celui qui blesse et se moque des conséquences, sans responsabilité pour porter sa contribution à la réparation du mal qu’il a commis. Le purgatoire c’est cet état d’amour, dans la vision de l’Amour infini de Dieu pour nous, où les âmes souffrent dans la vision de ce qu’ils ont mal agi, mais ne perdent pas l’espérance d’être, par cette purification, adaptés à l’amour éternel de Dieu pour parvenir au bonheur du paradis. L’Amour de Dieu qui les accueille leur donne la soif de réparer en offrant leur souffrance de purification qui les responsabilise.

Le médecin nazi, qui a torturé des résistants, tombe quarante ans plus tard dans les bras d’une de ses victimes, en réalisant son crime de guerre. Aussitôt cet ancien bourreau demande à celle qui lui a pardonné depuis longtemps : comment est-ce que je peux réparer maintenant ?

Le jeune Carlo Acutis entre à l’hôpital, sachant intuitivement qu’il en sortira les deux pieds devant. Il dit à sa maman en face de ce qu’il souffre des traitements qu’on lui inflige : je veux faire mon purgatoire sur terre pour aller tout de suite au paradis. Sa vie exemplaire de jeune chrétien ne lui faisait pas illusion. Il savait qu’il avait à être purifié de ses péchés.

Tout est donné dans la Christ en pure et totale gratuité, la vie, la mort, le pardon et l’éternité. Mais tout est à gagner dans le Christ par notre oui et notre confiance en Lui.  C’est notre dignité. Nul ne peut être forcer à aimer. La dignité d’un homme est de consentir à l’amour. C’est pourquoi le suicide assisté ou l’aide médicale à mourir, à ne pas confondre avec le refus de l’acharnement thérapeutique, sont une atteinte à la profonde et véritable dignité de la personne humaine. Car quelles que soient les circonstances d’une mort, c’est toujours Dieu qui vient chercher sa créature. Soulageons la souffrance autant qu’on le peut, mais laissons le mourant à sa liberté de rencontrer Dieu qui vient à sa rencontre et de lui dire un oui d’amour pour l’éternité. Mystère de la vie et de la mort où deux libertés se rencontrent pour une Alliance éternelle, la liberté de Dieu et la liberté de l’homme.

Nos défunts qui sont au purgatoire prient pour nous afin que nous consentions sans cesse à l’amour du Christ, tel que le Seigneur nous l’offre à chacun de façon unique, tous les jours de nos vies. Les âmes du purgatoire attendent pour elles-mêmes nos prières et nos sacrifices qui peuvent les délivrer au plus vite pour entrer dans la pleine vision de Dieu. Car dans la communion des saints nous sommes solidaires les uns des autres. Nous ne sommes pas des individus, comme notre société nous l’enseigne, mais des personnes responsables de soi et de tous, pour bâtir le Royaume des cieux dont les royaumes de la terre ne sont que les prémices.

 

[1] Michel Polnareff

[2] Sg 2, 23

[3] Jn 3, 6

[4] Paul Evdokimov

[5] Eph 3, 19 : « Vous connaîtrez ce qui dépasse toute connaissance : l’amour du Christ. Alors vous serez comblés jusqu’à entrer dans toute la plénitude de Dieu. »

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