Le Puy du fou, une ode à l’amour, un mémorial puissant
Jean-Dominique Dubois, franciscain prêtre
Le 9 juillet 2025
Le bocage vendéen s’ouvre sur un parc unique en ses feuillages peuplés d’animaux multiples et variés. Les sentiers, au sein d’une nature merveilleuse et soignée, riche en flore et faune, conduisent à d’admirables découvertes. Non point jardin versaillais du roi soleil où la perspective et la symétrie s’harmonisent. La Vendée ouvre sa terre en sa singularité jusqu’à faire respirer toute la terre de France en sa diversité. Monsieur Le Nôtre aurait su en goûter le charme. L’excellence est au rendez-vous. Elle n’écrase pas. L’art ici est vie, plénitude de sens, ouverture de l’âme, intelligence au mystère d’un pays unique, le pays de Jeanne.
Là une galerie de pleine nature dévoile le secret de la vie de Clovis, passé du dieu Wotan au dieu de Clotilde par un long chemin du ciel, achevé par le baptême autant que par la consécration royale d’une mystérieuse huile sainte. La foi est au cœur de la reine burgonde. Dame Clotilde ne partage cependant sa créance avec nulle autre force si ce n’est celle de l’amour de son époux et de son peuple. Un peu plus loin Jean de la Fontaine en son jardin et son bestiaire conte ses plus beaux vers. Il éduque la cour du grand roi. La France est née d’acte littéraire. Là-bas le sentier s’enfonce dans une tranchée de Verdun d’un réalisme saisissant. On remonte le temps à l’amphithéâtre de la Rome finissante en sa métamorphose chrétienne. Sans oublier les Vikings qui débarquent du côté de Noirmoutier pour finir par s’établir en épousant la foi du pays vaincu. Saint Philibert, en ses reliques mortuaires, est plus fort que tout art guerrier des barbares. Au pied du château médiéval, dames et chevaliers dansent et guerroient par une lance dont la force garde son secret, si ce n’est le cœur d’une pastourelle devenue chef de guerre par sa foi. Monsieur de la Pérouse embarque le visiteur en son navire partageant ses découvertes, autant que la rude et exigeante vie du marin explorateur des continents.
Tout ne peut être évoqué, des mousquetaires du roi à la découverte du cinéma dans « Le Mime et l’étoile ». Tout est beau également, désirable à goûter autant qu’à voir. Invitation à un voyage mémoriel qui ouvre l’âme, donne à contempler autant qu’à réfléchir. Rien sans le cœur, ni sans les cœurs qui ont façonné le pays et le façonnent encore.
En cette promenade d’un siècle à l’autre, nul n’est besoin de suivre l’ordre chronologique des époques. Chacun peut aller à son gout. Chaque site offre une longue page d’histoire. En un raccourci saisissant d’une demi-heure environ, la pertinence du scénario, l’harmonie et la cohérence des éléments essentiels, la mise en scène brillante, amoureuse, géniale autant que servie par une technologie remarquable, stupéfient et introduisent à l’intelligence cachée et subtile de l’événement en la fraicheur de sa naissance, secret de sa maturité. Le public de tout bord ne s’y trompe pas. D’une allure bon enfant et familiale chacun se donne spontanément d’éviter bousculades et négligences coutumières de sans gêne. Nulle excitation de fausse joie mais plaisir de se laisser conduire pour une intériorité de communion au pays de son enfance. Boutiques d’époque et restaurants d’histoire accueillent le client ou l’assoiffé avec une élégance toute française, dans la diversité des régions qui a vu naître le pays de ces géants. Ici tout est acte d’amour dans le moindre détail, le moindre costume, le moindre geste.
Le drame, cependant, est au cœur de la visite. Terre de Vendée qui subit les colonnes infernales du général Turreau. Le château de François II du Puy du Fou, dont l’ancêtre combattit aux côtés de Jeanne d’Arc, est demeure princière. Aujourd’hui encore elle offre au passant sa déchirure mortelle. Cette terre-là est baignée du sang de ceux dont la Convention a voulu « dépopuliser » la patrie charnelle. « Le dernier Panache » témoigne de ce drame occulté de l’histoire nationale. Allégorie et paradigme de l’homme assoiffé de sa seule raison au détriment de son cœur. Quand l’homme veut se comprendre non plus à partir de sa terre et de son cosmos mais à partir de lui-même il s’en vient à chasser de son horizon le Dieu créateur amoureux de l’homme et chemin de son salut. C’est à l’âge de la Renaissance, âge de la construction du Puy du Fou. Deux siècles plus tard « les Lumières » prétendent éteindre la Lumière divine au cœur de l’homme en postulant de le sauver par lui-même. La suite logique en est le temps de la philosophie de la « mort de Dieu », le dix-neuvième siècle. La violence au cœur de l’homme n’a plus son antidote divine. Nul n’entend plus le cri de l’enfant de mère gauloise et de père romain dans « Le Signe du triomphe » qui demande grâce pour ce gouverneur d’empire qui voulait l’occire au nom de sa civilisation et de ses dieux. [1]
La scène du dernier Panache est d’une beauté époustouflante de réalisme et de profondeur. Émouvantes larmes, bouleversantes larmes de la petite fille en la chapelle des Lucs. Larmes d’âme qui semblent tout recueillir et tout laver. L’enfant pleure ses parents, ses amis et ses proches, tués froidement et ensevelis sous les décombres de l’église villageoise. Le général Charrette, lieutenant de vaisseau devenu chef de guerre royale, emporte avec lui l’enfant pour la garder. Fidèle à sa naissance et à sa propre enfance, le soldat s’apprête à mourir en brave afin que rien ne soit perdu de l’âme d’un peuple, de la foi d’une nation, d’une histoire multiséculaire. 1794, fruit ultime d’un long fleuve de sang qui commence en 1789. Une crise sociale, économique et politique tourne au drame. On veut tout emporter dans une fureur régénératrice à vouloir, à marche forcée, faire un homme nouveau. La nouveauté de l’homme n’est-elle pas dans l’accueil du don reçu, d’une terre offerte à l’amour et d’un héritage qui entraîne à la véritable nouveauté laquelle crée et enrichit sans jamais détruire ? L’homme sans dieu est tragiquement laissé à ses propres démons, fussent-ils sortis de la plus grande intelligence. Cet homme-là oublie que Lucifer veut dire « porteur de lumière ». L’homme est né de la terre pour la cultiver et la cultuer.[2] « Une culture sans culte est une inculture » s’exclame Monseigneur Michel Aupetit dans la cathédrale Notre Dame, meurtrie par d’autres flammes.
En apothéose et longue soirée, la Cinéscénie, joue la symphonie d’un orchestre aux multiples couleurs. L’histoire millénaire de cette terre puyfolaise, paradigme de la France, manifeste sa beauté et sa splendeur d’un poème de joies et de larmes multigénérationnelles. Terre de France dont le saint pape Jean-Paul II rappelle en 1980 sa vocation « d’éducatrice des peuples. » [3]
Le Puy du Fou n’est pas un parc d’attractions. Bien plus, c’est une ode à l’amour. Un mémorial puissant de l’âme d’un peuple que rien ne semble pouvoir anéantir. En témoigne l’armée des puyfolais, passionnés de jouer et de servir ce qui les dépasse et les traverse, l’hymne d’un pays qui est le leur. Les multitudes de visiteurs ne cessent de croître et de les rejoindre pour goûter ce fruit savoureux d’une longue histoire d’amour. Le fleuve débute souvent par un mince filet d’eau au creux d’une lointaine montagne mais c’est lui qui alimente la mer…
Qui pouvait penser qu’un jour l’anneau de Jeanne d’Arc retrouverait la terre de France ? Le château meurtri d’une population régionale blessée à mort est pourtant aujourd’hui l’écrin de ce bijou, symbole du lien entre le ciel et cette terre des cathédrales. Humble orfèvrerie portant les noms de Jésus et de Marie, tenue amoureusement par la pucelle en fidélité à ses célestes voies. On a brûlé Jeanne. L’anneau seul est resté. Témoin qu’il y a plus à perdre son âme que son corps. [4] L’anneau d’une âme pure témoigne à lui seul de l’héritage de tout un peuple et de la fidélité exigée. Modeste objet symbolique, signe que le ciel patiente souvent à nous faire perdre l’espérance. Dieu cependant n’oublie pas les siens. L’histoire enseigne que si jamais le Seigneur des seigneurs tarde à dire son dernier mot, c’est que le dernier mot lui appartient. C’est sans doute leçon du Puy du Fou…
[1] On lira avec intérêt l’ouvrage magistral de Ngoc Tiem Tran analysant la philosophie et la pratique de tant de siècles de l’histoire de France marqués par cette inversion de la cosmogénèse en anthropogénèse où l’homme veut se déifier par sa seule raison : « Faillite de l’humanisme des Lumières. Vers une vision renouvelée de la vocation humaine et chrétienne » L’Harmattan
[2] « Yahvé Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder. » Gn 2,15 Le terme hébraïque sous-jacent signifie autant cultiver matériellement la terre que simultanément rendre un culte au Créateur et Donateur de cette terre.
[3] « France, fille aînée de l’Église et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle ? » Prédication au Bourget. 1980. Jean-Paul II
[4] « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » Mt 10, 28